Ils sont trois porte-parole : Patric Jean, cinéaste et réalisateur de 'La Domination masculine', Frédéric Robert, chef d'entreprise et Gérard Biard, rédacteur en chef de Charlie Hebdo. Ensemble, ils ont créé Zéro Macho, un réseau de lutte contre la prostitution. Une association 100 % masculine et tout aussi féministe. Rencontre avec l'un des membres fondateurs.
Time Out Paris : Comment est née l'idée de Zéro Macho ?
Gérard Biard : A la suite de rencontres avec Florence Montreynaud (co-fondatrice des Chiennes de garde, ndlr) qui a réuni des hommes autour de la thématique de la prostitution et surtout autour du refus de ce système. A partir de là, nous avons voulu monter ce réseau d'hommes et écrire le manifeste « Nous n'irons pas au bois ». L'idée d'en faire un mouvement et une association féministe paraissait évidente.
Pourquoi avoir choisi la prostitution comme cheval de bataille ?
Parce que c'est d'abord ce qui nous a réunis. C'est évidemment un problème qui concerne les hommes parce qu'elle s'adresse presque exclusivement à eux, y compris la prostitution masculine. C'est une des manifestations multi-millénaires du patriarcat.
Quel est le souhait de votre organisation ?
Notre mouvement soutient toutes les initiatives visant à abolir la prostitution. Une loi en gestation propose à la France d'adopter le modèle suédois, à savoir d'offrir dans un premier temps une information et une pédagogie autour de ce qu'est réellement la prostitution. Puis dans un second temps, ce que tout le monde agite comme un épouvantail : la responsabilisation pénale du client, à nos yeux indispensable.
Aujourd'hui en France, seules les prostituées sont pénalisées...
Oui, on pénalise les victimes. Selon le rapport parlementaire remis par Danielle Bousquet et Guy Geoffroy (enregistré à l'Assemblée nationale le 13 avril 2011, ndlr), 80 % des prostituées en France sont étrangères (selon les chiffres de 2010 de l'OCRTEH, près de 90 % des prostituées de rue sont d'origine étrangère, ndlr), ce qui veut dire qu'elles font partie de réseaux...
Pourquoi légiférer ?
Une loi n'est pas uniquement répressive, elle est aussi pédagogique. Dire la réalité de la prostitution, et que cette réalité, ce n'est pas des auto-entrepreneuses comme voudrait nous le faire croire le STRASS (Syndicat du travail sexuel). La prostitution, ce sont des réseaux, du proxénétisme, c'est un marché qui est organisé par le crime organisé.
Il nous semblait indispensable, au moment où le débat s'ouvrait notamment dans la presse bien-pensante, de rappeler que les hommes ne sont pas des victimes. Il ne faut pas inverser le problème. La loi qui, entre autres, responsabilise pénalement les clients sera une loi juste. Car le client est non seulement un maillon, mais il est aussi la raison qui fait qu'elle existe. Il est la demande. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans un marché économique. L'exploitation sexuelle, c'est le troisième marché au monde au niveau du crime organisé, en termes de gain pour un investissement minime.
Distribuer quelques amendes va-t-il vraiment aider le combat contre la prostitution ? Punir, c'est guérir ?
Ca n'empêchera pas DSK d'être ce qu'il est. Le but du législateur n'est pas de supprimer le crime, il est de dire qu'il est intolérable dans telle ou telle société. On punit le viol, on ne l'a malheureusement pas supprimé. On ne vit pas dans un monde idéal, mais dans un monde que l'on tend à civiliser et à rendre égalitaire.
En Suède, aucune peine de prison n'a été prononcée, seules une centaine d'amendes ont été distribuées. Nous sommes en démocratie, les lois s'adressent à ceux qui les respectent. On ne s'empêche pas en matière de sécurité routière, de faire payer des amendes gratinées aux fous furieux qui passent à 100 km/h devant une école. Pourquoi on s'interdirait de coller une amende à un brave garçon qui sort de sa voiture boulevard de la Chapelle pour une fellation entre deux camions par une Bulgare livide, à peine majeure et de toute évidence camée jusqu'aux yeux ? Ce brave homme ne peut pas me dire : « Je ne savais pas, je pensais qu'elle était libre »...
L'abolition de la prostitution n'est pas une question de morale, mais de justice. C'est une question sociale, ce n'est pas une question de sexualité. La sexualité ne perdra rien le jour où on abolira la prostitution. Il ne s'agit pas d'utopie, il s'agit de règles sociales qui sont indispensables dans une démocratie.
En quoi votre parole d'homme a-t-elle plus d'impact ?
Les hommes sont « les destinataires » presque exclusifs de la prostitution. Que ce soit une parole d'homme qui intervienne dans ce débat nous paraît essentiel.
Que répondez-vous à ceux qui évoquent la liberté de disposer de son corps ?
Je poserai juste une question : qui dispose du corps d'une prostituée ? C'est généralement le proxénète. Dans 'La Fermeture' d'Alphonse Boudard sur la loi Marthe Richard, il y a un chapitre consacré à une brève histoire de la prostitution. Boudard, qui n'était pas du tout abolitionniste écrit noir sur blanc : « Qui fut la première pute, qui fut le premier mac ? » L'un ne va pas sans l'autre. La réalité de la prostitution c'est Dodo la Saumure, pas Irma la Douce. Si vous voulez réglementer la prostitution, ça veut dire que vous régularisez le proxénétisme, et ça ne supprime évidemment pas les réseaux et le trafic d'êtres humains.
Et là en l'occurrence on ne parle pas seulement des prostituées mais des femmes. Quelle image donne-t-on de la femme dans un pays comme l'Allemagne. A Bonn par exemple, pour régler le problème la prostitution de rue, on a installé des parcmètres pour les prostituées. En Bavière, tout récemment une agence pôle emploi locale a proposé à une jeune femme un poste d'hôtesse dans un bordel...
L'image du bordel a encore aujourd'hui une aura nostalgique...
Parce que ça a été chanté par Baudelaire, raconté par Maupassant, peint par Toulouse-Lautrec, on y ajoute un aspect romantique. Mais ils n'auraient pas eu moins de talent sans les bordels. Ils y allaient parce que ça faisait partie de la réalité de leur société.
En Allemagne, les autorités font face à la recrudescence voire au développement anarchique de la prostitution de rue. Le fait qu'il y ait des bordels n'empêche pas la prostitution de rue, elle l'attire. Il est totalement faux de dire que les maisons destinées aux prostituées empêcheront la rue et la clandestinité d'exister. Et encore une fois, quelle image donne-t-on de la femme dès lors qu'on la met en vitrine avec directement une étiquette collée dessus ?
On peut être un homme féministe ?
Le féminisme est une idée humaniste. Je ne comprends pas qu'on puisse être de gauche et ne pas être féministe. Le machisme est la plus vieille, la plus ancrée et la plus têtue des formes de racisme. Mais c'est aussi la mieux partagée, or ce n'est rien d'autre qu'un racisme. C'est le déni de l'autre en tant qu'égal et en tant que personne humaine. La prostitution c'est la manifestation la plus violente et curieusement la plus défendue et acceptée de cette inégalité.
Pourquoi est-elle si défendue ?
Parce qu'elle génère des profits assez gigantesques qui ne sont pas qu'entre les mains de quelques proxénètes identifiés. Si l'Ukraine est un des plus grands bordels d'Europe, c'est parce que la classe politique est impliquée là-dedans. Même chose en Russie... C'est une histoire de crime organisé. On est dans le trafic, on est dans la grande loi du marché libre et concurrentiel.
L'abolition de la prostitution est un des chemins pour arriver à une société égalitaire entre les hommes et les femmes. On ne peut pas dire que la moitié de l'humanité est inférieure à l'autre moitié, et encore moins qu'elle est à disposition des désirs sexuels et de domination de l'autre moitié.