Monument de la bonne bouffe qu’il faut visiter juste après la Bonne Mère, Chez Etienne n’est pas un restaurant comme les autres. Déjà, la devanture annonce la couleur : « PIZZARIA » écrit en énormes lettres, comme un pied de nez aux puristes. A l’intérieur, ne soyez pas étonné que l’on vous accueille par un « Ça va les chéris ? » alors que vous n’êtes jamais venu. L’accueil à la marseillaise, c’est ce qui a fait le succès des lieux. Et encore, vous avez droit à la version soft. Parce que du temps du patron Etienne Cassaro (1933-2017) et de sa cousine Annie, les disputes en cuisine faisaient partie du show. Lui, concentré sur son four à pizza ; elle, flamboyante avec sa tignasse rousse et sa tenue léopard, balançant les assiettes en salle. Le duo ne ménageait personne (gentiment, hein) et rappelait aux clients que Chez Etienne, on n’est pas des rois mais des invités de la maison. Aujourd’hui, Véro et Nasser perpétuent cette ambiance épique.
Vous vous asseyez, on vous tend une carte cartonnée jaunie, glissée dans une pochette plastique d’écolier. Petit conseil : ne la prenez surtout pas si vous ne voulez pas passer pour un touriste. Commandez plutôt d’un ton assuré une « pizz’ » (oui, pizz’, pas pizza, on ne dit pas pizza à Marseille) : fromage ou moitié-moitié (fromage-tomate d’un côté, tomate-anchois de l’autre). Pour les initiés, il y a la fameuse pizza « blanche » (huile d’olive et emmental) de Pascal – fils et successeur d’Etienne Cassaro –, hors menu et réservée aux habitués. Notez aussi qu’à Marseille, la pizza, c’est en entrée et on la partage. Point.
Chez Etienne, des supions par kilos...
Si malgré tout vous avez pris la carte, vous aurez observé qu’il y a du gratin d’aubergine, des spaghettis aux fruits de mer ou des brochettes d’agneau parfumées au romarin. Sympa mais pas le clou du spectacle. Après la pizza, les vrais savent : il faut enchaîner sur les supions. Ah, les supions à l’ail et au persil de Chez Etienne... Des générations de restaurateurs marseillais les ont copiés. Ces petites seiches, simplement farinées puis cuites à l’huile dans une poêle, sont iconiques. Le journaliste américain Daniel Young les a décrits comme des « bonbons caramélisés » dans son bouquin Made in Marseille (éditions William Morrow, non traduit, 2002). Il a tout compris, même s’il a oublié de dire que ces supions deviennent de vraies madeleines de Proust avec le temps.
Il fut un temps où 300 kilos de ces petites bêtes passaient chaque semaine par la cuisine, si bien que Cassaro Senior devait s’approvisionner en partie en Atlantique. Un cuistot vietnamien des années 60, Van Lhu, a créé la recette qui est encore suivie à la lettre par « Maman », l’employée historique du resto. Les plus solides pourront se laisser tenter par une pièce de bœuf, mais il faut garder de la place pour le dessert. Pana cotta, crème caramel ou, mieux, la tarte aux pommes de la boulangerie le Trianon, servie tiède avec une boule de glace vanille.
... et des stars qui paient cash
Évidemment, il vous faudra des espèces dans votre portefeuille : ici, le terminal de carte bleue, c’est un concept futuriste qu’on laisse aux autres. Et bien sûr, laissez un joli pourboire (10 euros minimum pour deux, histoire de ne pas passer pour un radin). Si vous le faites bien, vous aurez droit au fameux « Service royal ! » en quittant la caisse. Peu à peu, vous deviendrez un ami de la maison, comme le prince Albert de Monaco ou le légendaire Josip Skoblar, recordman de buts en Ligue 1 (44 pions en une saison, 1970-1971, avec l’OM). C’est même grâce à lui que la réputation de Chez Etienne a explosé. Les murs tapissés de photos façon Paris Match en témoignent.
Avant ça, Chez Etienne, c’était juste un petit resto de quartier, ouvert en 1943 par Micheline, la mère d’Etienne. À l’époque, quand elle ne préparait pas des pieds paquets ou des pâtes à la saucisse, elle descendait en ville vendre des morceaux de pizza dans la rue. Son mari, barbier, s’occupait des marins et immigrés de passage. Auraient-ils imaginé qu’un jour, leur fils et leur petit-fils serviraient des stars d’Hollywood à leur table ?
Où ? Chez Etienne, 43 rue de Lorette, 13002 Marseille
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