Une blague dit qu’il y a plus de pizzerias à Marseille qu’à Naples. Comme toujours, ils exagèrent, mais ça montre à quel point les Marseillais sont fiers de leur scène « pizz’ ». Parce qu’en pizza aussi, c’est « A jamais les premiers ». C’est via la cité phocéenne que la pizza est arrivée en France, quand les travailleurs italiens sont venus chercher un meilleur quotidien. L’anthropologue Sylvie Sanchez raconte dans son livre Pizza Connexion (éditions CNRS, 2007) que la première mention d’un four à pizza date de 1903, et c’était celui de la Cantina, ouverte sur le Vieux-Port à la fin du XIXe siècle par un natif de Sorrente, pas loin de Naples.
La pizza est alors faite comme dans la Botte, c’est-à-dire au levain mais sans tomate, avec le « fromage de Rome », de la graisse de cochon et du basilic. Sur le comptoir de la Cantina est posé un pot d’anchois siciliens conservés dans du gros sel, destinés à garnir la pizza. A l’époque, on la partage entre collègues, le concept de la pizza perso n’est pas encore descendu sur Terre.
La street food des années 30
Dans les années 1930 – vingt ans avant Paris –, c’est donc à Marseille qu'apparaissent les premières véritables pizzerias françaises. On vend de la pizz’ sur place, à emporter, au poids, et même à la criée. Les vendeurs ambulants préparent leur pâte garnie à la maison, la font cuire dans le four du boulanger, et partent directement avec leur plaque (pour conserver la chaleur) arpenter les rues à la recherche d’employés et d’écoliers en quête d’en-cas.
Ce n’est pas un hasard si le restaurant le plus connu de Marseille, Chez Etienne, est une pizzeria. Un monument touristique tenu par la famille Cassaro depuis 1943. Ici, la tradition est respectée, la « pizz’ » est considérée comme une entrée à partager. L’autre plus vieille pizzeria de la ville encore en activité, Chez Sauveur, est elle aussi née en 1943. Les curieux remarqueront une sonnette, aujourd’hui inutilisée, à l’entrée. A l’époque, en appuyant sur l’un ou l’autre des boutons, le pizzaïolo était prévenu des commandes des clients, fromage ou anchois. Et en mettant les doigts sur les deux, on obtenait une « moitié-moitié ».
Arménienne, corse, algérienne, moitié-moitié
La moitié-moitié (ou « moit-moit ») est une création 100 % marseillaise. Deux éléments seulement sont autorisés : fromage d’un côté, anchois de l’autre, avec une base de sauce tomate pour l’ensemble. Un véritable emblème avec ses bords noirs volontairement cramés et de l’emmental au lieu de la mozzarella italienne (on n’en trouvait pas à l’époque). Les fortes communautés corses et arméniennes de la ville ont également popularisé deux pizzas vendues partout : l’arménienne, avec viande hachée, oignon et poivron, et la figatelli-brousse (saucisse et fromage frais de chèvre).
Et comme les Marseillais ont de la suite dans les idées, c’est ici qu’a été inventé le camion-pizza, au début des années 1960, lorsqu’un ancien stewart de paquebot, Jean Meritan, eut l’idée d’aller proposer des parts de pizza dans les quartiers excentrés de la ville. Au début, par crainte d’un incendie, il installe son four en briques sur une remorque, et les Marseillais le prennent parfois pour un camion à goudron !
Une cinquantaine de camions-pizzas sont actifs aujourd’hui dans la ville mais notre préf, c’est celui de Gérald Oliveri, ancien cuisinier du resto triple étoilé le Petit Nice devenu un monument du boulevard de la Blancarde. Chez Gé, les portions, généreuses avec cette pâte épaisse, sont à 2,50 €. On les plie en deux pour les manger, pas comme la pizza briochée de boulangerie, une autre favorite de la ville avec sa forme carrée, que les Algériens considèrent comme la leur.
On trouve la nôtre à la boulangerie La Fournée de Lodi, et on la boulotte à la Restanque, le café d’à côté (les patrons sont sympas). Et parfois, on aime se traîner chez Partenope, un portail de téléportation vers Napoli situé dans le Panier, avec mama en pantoufles et tartes à gros trottoirs, juste pour revenir à l’origine de cette love story infinie entre la pizza et Marseille.