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A Paris, la difficile transition écologique des musées

Alors qu’on nous encourage à porter des cols roulés pour limiter notre consommation d'électricité, les musées parisiens tentent progressivement de se mettre au vert. Non sans difficultés.

Zoé Terouinard
Écrit par
Zoé Terouinard
Journaliste, Time Out Paris
 Vue de l'exposition "Notre monde brûle", Palais de Tokyo, Paris
© Marc DomageVue de l'exposition "Notre monde brûle", Palais de Tokyo, Paris - Sammy Baloji, sans titre, 2018, 41 douilles d'obus (1914-1918 / 1939-1945), plantes d'intérieur, dimensions variables
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1er août 2022, coup de chaud sur le Palais de Tokyo. A cause des fortes températures, le centre d’art ferme ses portes pour protéger son personnel et ses visiteurs. Une première pour une telle institution. Plutôt que d’installer la clim, le musée a choisi de renoncer aux recettes de l’expo Réclamer la terre qui, coïncidence, questionnait notre rapport à la planète. “C’est une exposition qui s’est retrouvée contemporaine de la réalité concrète du changement climatique en France, avec des vagues de chaleur qui nous ont obligés à fermer au public”, résume sa commissaire Daria de Beauvais. 

Cette réalité, les musées s’en sont longtemps tenus à distance. Et pour cause : pour mesurer le succès d’une expo, seul le nombre de visiteurs compte. Et ces mêmes visiteurs pèsent lourd (99 % selon le site du Louvre) dans le bilan carbone de fin d’année. “On est tous un peu dopés à la fréquentation, aux chiffres, à la course aux blockbusters”, reconnaît Mathieu Boncour, directeur de la communication et de la RSE au Palais de Tokyo. “Cette course, on la remet en cause aujourd’hui et nous sommes beaucoup à plaider pour l’apparition de nouveaux indicateurs.”  

 Art of Change 21
© Art of Change 21

Pour Alice Audouin, fondatrice d’Art of Change 21, une association qui lie art et développement durable, c’est tout le secteur qui doit repenser son modèle, et vite : “Ils n’ont pas compris que c’est un changement de civilisation qui est en cours. Ils doivent être un reflet des grands moments de leur temps et je pense qu’à ce sujet, il y a eu un loupé de la part du secteur culturel.” 

Mise à niveau écolo à Beaubourg

Pourtant, sur le papier, les musées parisiens multiplient les initiatives pour se verdir depuis cinq ans, entre rédaction de chartes et tentatives d’écoconception des expos. Contacté, le service com du Louvre nous a ainsi dévoilé son ambition de diminuer de 10 % sa – colossale – consommation d’électricité dans les cinq prochaines années, la limitation de la production de déchets dans ses boutiques etc.. Mais quand se pose l’épineuse question du mécénat et notamment de son engagement avec des marques automobiles utilisant des énergies fossiles ou des marques de fast fashion, le Louvre esquive un peu : “Le service du mécénat du musée du Louvre s’est doté de deux chartes éthiques dès le début des années 2000. Ces chartes indiquent par exemple que le Louvre s’interdit de recevoir des dons d’organisations politiques ou religieuses, respecte la législation sur le tabac et les alcools, se refuse à toute intervention de ses mécènes dans ses choix artistiques ou de programmation. Elles sont annexées à toutes les conventions de mécénat signées par le musée.” Mais on n’en saura pas plus sur les liens avec les industriels des énergies fossiles.

 Art of Change 21
© Art of Change 21

Certains musées disent qu’ils s’inquiètent de la crise climatique et qu’ils sont super impliqués, mais ils continuent de cautionner l’industrie principale contributrice du changement climatique”, critique Edina Ifticene, chargée de campagne pétrole chez Greenpeace France. “Le Louvre ne reçoit plus d’argent de TotalEnergies depuis 2019, mais il ne peut pas annoncer qu’il arrête tout partenariat avec l’industrie fossile. Parce que c’est crucial diplomatiquement.” Le Louvre Abu Dhabi, le Louvre à Téhéran… Plus qu’un musée, le Louvre est devenu un outil diplomatique et une marque qui s’exporte dans des pays pétroliers. 

Du côté de l’autre mastodonte de l’art parisien, le Centre Pompidou, le virage green s’est accéléré depuis la crise du Covid. “Il y a clairement un lien entre le premier confinement et la formalisation de notre stratégie. Les idées, les actions étaient antérieures, mais il n’y avait pas de réelle structuration”, explique Julie Narbey, la directrice générale. C’est dans ce contexte que le musée d’art contemporain fermera ses portes en 2023 pour trois ans de travaux visant à boucher les trous de cette passoire thermique. “C’est un bâtiment des années 1970 pas très écofriendly”, concède la DG. “Les travaux auront pour objectif une réduction très significative des consommations énergétiques qui est estimée à 58 %.”   

Décroissance et permaculture

Cela suffira-t-il pour un bilan carbone dans le vert ? Certains estiment que c’est tout le modèle de l’industrie de l’art qu’il faut remettre en question. Lauréate du Prix des internautes des Journées européennes du patrimoine pour son mémoire sur les expos écoconçues, la chercheuse Elise Vassiliadis-Poirey plaide pour la décroissance : “Il faut s'éloigner des expos blockbusters, elles s'apparentent selon moi à de l'hyperconsommation. Faire venir une œuvre de New York ou Los Angeles équivaut à acheter un sac à la mode fabriqué à l'autre bout du monde. Si l'écologie nous invite à revoir notre mode de consommation globale, cela passe aussi par notre manière de consommer la culture.” Un parallèle avec la fast fashion, de plus en plus décriée, qui met en lumière l’indulgence que l’on accorde encore à l’art.  

Façade extérieure du Centre pompidou.
© Unsplash / Krists LuhaersFaçade extérieure du Centre pompidou.

Le président du Palais de Tokyo, Guillaume Desanges, est lui aussi du côté des réformistes. Sa solution : faire en sorte que le milieu de l’art adopte les valeurs de la permaculture et ses modes de production vertueux. Dans son Petit Traité de la permaculture institutionnelle publié en octobre 2022, il plaide pour les circuits courts et contre les tentations hégémoniques. “Dans un musée, cela se traduirait par l’allongement des durées d’exposition, par des coproductions ou par l’utilisation des propriétés naturelles de notre bâtiment, en exposant dans des parties fraîches en été et dans des espaces plus chauds en hiver”, détaille Mathieu Boncour, son collègue du Palais de Tokyo. Des préceptes appliqués au sein de la double expo HUMPTY / DUMPTY de Cyprien Gaillard réalisée en collaboration avec Lafayette Anticipations. “Deux institutions avaient déjà invité le même artiste au même moment sans se concerter”, nous explique Mathieu Boncour. “Donc, plutôt que de faire chacun dans son coin une exposition avec pour chacune une communication dédiée, des moyens dédiés, on a préféré travailler ensemble pour mutualiser un certain nombre de fonctions et réduire notre impact.” 

Rue Papin, la Gaîté lyrique, haut lieu des cultures digitales, s’est, elle, lancée dans une croisade contre les déchets électriques et électroniques en ouvrant en septembre dernier un Repair Café dans ses locaux pour permettre à ses visiteurs d’offrir une seconde vie à leurs objets électroniques. “Le cœur de notre mission, c’est de penser le numérique différemment, pas de le supprimer”, explique Laëtitia Stagnara, sa directrice générale, qui estime que la mutation vers le durable des musées parisiens dépendra beaucoup de la volonté des équipes qui les dirigent. “Je pense que tous les établissements sont façonnés par leurs équipes et celle de la Gaîté lyrique est par exemple très jeune. En 2019, ce sont nos équipes qui ont sollicité la rédaction d’une charte pour savoir avec qui on pouvait s’allier, et selon quels critères.” C’est une question de générations, estime aussi Alice Audouin d’Art of Change 21 : “La transition écologique des musées va dépendre de sa capacité à confier des postes de décision à des jeunes. Ça, j’en suis convaincue !”

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