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Le pictogramme affichant un ordinateur barré d’un trait gras est plutôt petit sur la vitre de l’entrée du coffee shop Candle Kids, rue des Couronnes, dans le 20e. Mais il y a un rappel sur la pancarte plantée à la caisse. Pourtant, « on a toujours des irréductibles qui essayent de s’imposer », déplore Ernest Laurens, le cofondateur du lieu ouvert depuis août 2023 dans le quartier Jourdain. « C’est un challenge permanent de faire comprendre notre volonté. »
Cette volonté, c’est de revenir aux fondamentaux du café, à savoir un « tiers-lieu » (« third place ») comme le théorisait en 1989 le sociologue américain Ray Oldenburg dans son ouvrage The Great Good Place, soit un lieu de sociabilité en dehors du foyer (« first place ») et du travail (« second place »). Dans le coin, sur la ligne entre la rue de la Villette et Gambetta, ils sont déjà trois coffee shops à restreindre, voire interdire, l’accès au wi-fi à leur clientèle. Le changement est flagrant à The Dancing Goat (TDG), ouvert en juin 2021, et rapidement devenu impénétrable. Depuis l’extérieur, on ne voyait plus que la buée causée par la chaleur des tous les ordinateurs sur les grandes baies vitrées…
Alors, depuis septembre 2023, TDG est devenu un café « no laptop », attirant, au passage, de nouveaux habitués : adieu digital nomades, télétravailleurs et autres free-lanceurs qui se battaient pour une meilleure proximité avec les prises électriques, bienvenue aux familles à poussette YOYO®, aux couples accompagnés de leur berger australien, aux mamies et leurs petits-enfants. Pareil chez Mardi Café, définitivement plus hygge sans écrans, au point qu’il n’est pas rare d’y voir des gens renouer avec la prise de notes manuscrite sur un bon vieux carnet en papier.
Mieux, l'implantation à Paris (et en France) du Offline Club, concept néerlandais qui consiste à laisser son smartphone au vestiaire en arrivant en soirée. Le topo par les trois fondateurs : « Il est temps de remplacer le temps passé devant l'écran par du temps réel, et de créer une communauté hors ligne qui vous aide à trouver une véritable connexion, avec vous-même et avec les autres. »
Des places moins rentables
Cette tendance à la détox digitale n’étonne pas Delphine Le Feuvre, journaliste et autrice de Paris Coffee Shops - 100 adresses pour amateurs de cafés de spécialité (Parigramme, 2024). Mais, elle n’est pas sûre que cela va durer. « Les cafés sont très flexibles sur la politique no laptop. Ils aménagent des horaires adaptés car ils doivent trouver le juste milieu en termes de rentabilité. »
Évidemment, les places occupées par les ordinateurs sont moins rentables. « Sur 30 places assises, si on accepte les personnes solos avec ordi, ça ne fait plus que 15, souligne Ernest. Et en même temps, je ne peux pas me fermer à cette clientèle. » D’autant plus à cette époque post-Covid, où le télétravail s’est ancré dans les habitudes. Il a fallu couper la poire en deux : « En semaine, on a deux zones de huit places assises dédiées à celles et ceux qui veulent bosser, et le week-end, c’est interdiction totale de pianoter sur un clavier d’ordi. »
Un dîner sans notifs
Pas de ça chez Atica, le restaurant immersif lancé en septembre 2024 par Ramzi Saade à deux pas de Notre-Dame (qui vient juste de rouvrir). Et pour cause, l’écran, ici, est géant. Ce restaurant gastronomique, pouvant accueillir 40 personnes, propose « un voyage immersif et sensoriel » qui en met plein la vue : « Chaque saison, et durant six mois, un chef et un artiste subliment une culture, explique-t-il. En ce moment, c’est le Pays basque qui est à l’honneur avec une œuvre immersive projetée sur un écran à 360 degrés. C’est un film exclusif mettant en scène 200 figurants pour célébrer la culture basque, et qui est protégé par des droits d’auteur. »
On n’en saura pas plus, car Ramzi souhaite préserver l'aura de mystère qui plane sur Atica, où il est interdit de filmer et de prendre des photos – on vous indique une pochette où glisser votre smartphone avant de vous mettre à table. Au point d’être prêt à se passer de la puissance promotionnelle des réseaux sociaux. « Jusqu’à maintenant, on fonctionne au bouche à oreille », souligne-t-il. Et de faire comprendre que la satisfaction est autre part, notamment en réinvestissant de manière plus vertueuse l’économie de l’attention : « Je suis motivé par l’envie de créer un moment suspendu, beau et inoubliable pour les gens, durant lequel ils ne sont pas parasités par les notifications de leur téléphone. Récemment, j’ai quand même un client qui m’a dit que c’était la première fois qu’il reparlait à sa femme en trois ans ! »
Candle Kids : 107 rue des Couronnes, 75020 Paris
Atica : 8 rue Frédéric-Sauton, 75005 Paris