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Comment les musées parisiens entament leur décolonisation

Restitutions, nouveaux parcours, propositions plus inclusives, cartels transparents… Les musées parisiens n’hésitent plus à questionner et décoloniser leurs collections.

Zoé Terouinard
Écrit par
Zoé Terouinard
Journaliste, Time Out Paris
Oeuvres du Bénin rendues
© Musée du quai Branly–Jacques Chirac / Lois Lammerhuber
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Ayant incarné historiquement la prétendue supériorité occidentale, les musées occupent une place centrale dans la pensée décoloniale, ce courant qui vise à faire l’inventaire des conséquences de l’emprise culturelle, politique et économique de l’Europe sur le reste du monde depuis le XVIe siècle. “Il ne s’agit pas seulement de regarder ce qu’il y a sur les murs et dans les collections, mais d’étudier ses hiérarchies sociales, genrées et raciales”, explique Françoise Vergès, autrice de Programme de désordre absolu. Décoloniser le musée.

Restituer les oeuvres mal-acquises

Art africain
© musée du quai Branly–Jacques Chirac, photo Léo Delafontaine

Le 9 novembre 2021, à l’Elysée, entre grands discours et petits fours, le président du Bénin Patrice Talon venait officiellement récupérer 26 trésors pillés par l’armée française en 1892 et qui étaient jusque-là conservés par le musée du Quai Branly. Un véritable événement, conséquence du discours de Ouagadougou en 2017, lors duquel Emmanuel Macron avait promis de réunir les “conditions pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique”.

Vaste programme quand on sait que 90 % du patrimoine culturel subsaharien se trouve hors du continent africain ! Mais l’idée fait son chemin depuis le rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy en 2018, qui préconisait d’obliger les musées européens à rendre les artefacts volés en Afrique. Un rapport qui a provoqué un séisme dans un milieu où les conservateurs de musée sont souvent jaloux de leurs collections.

Mais il y a peu de risques de voir le musée Guimet ou le Quai Branly – lequel a lancé un chantier sur les provenances des œuvres en 2019 – se vider de leurs collections. A part pour des pillages de guerre, il est souvent compliqué de connaître la provenance réelle des œuvres, de retrouver le consentement explicite du vendeur, de prouver le vol… “Il faut surtout que les conservateurs changent leur éthique de collection”, expliquait Nanette Snoep, ancienne responsable de l'unité patrimoniale Histoire au musée du Quai Branly, à Mediapart en 2021.

Changer d’éthique de programmation

Faith Ringgold
© Faith Ringgold/ARS, NY and DACS, London, courtesy ACA Galleries, New York 2022; The Museum of Modern Art/Licensed by SCALA/Art Resource, NY« American People Series # 20 = Die », de Faith Ringgold (1967)

C’est ce qu’a fait le musée Picasso en janvier 2023 en inaugurant la toute première rétrospective dédiée à Faith Ringgold, artiste afro-américaine et féministe superstar outre-Atlantique. “Il était temps de faire connaître Faith Ringgold au public français !, salue Françoise Vergès. Et on peut dire que toutes ces initiatives sont le résultat de décennies de recherches et d’actions de chercheurs et chercheuses, d’artistes et d’activistes qui n’ont pas cessé d’ouvrir des perspectives.” Le changement passe par une véritable réflexion de fond, explique Cécile Debray, directrice du musée national Picasso-Paris : “Plus que la valeur et la place de son œuvre, c’est davantage la figure de Picasso qui pose problème aujourd’hui. Forts de ce constat, nous avons redéployé la collection au sein du musée selon une approche plus culturelle et ouverte.”

S’ils ne peuvent être tenus responsables du passé, les conservateurs ont toutefois la responsabilité d’inscrire les institutions dans les débats d’aujourd’hui. D’ailleurs, en avril 2023, une soixantaine de directeurs et directrices de musées européens et africains signaient la Déclaration de Dakar, s’engageant à repenser leurs pratiques et à “sortir le patrimoine d’Afrique d’une vision ethnographique”, preuve que la prise de conscience est réelle dans le milieu artistique international.

Se réapproprier les récits

Pour s’assurer une programmation plus inclusive et moins marquée par les biais coloniaux, les musées ont compris qu’il fallait donner la parole aux principaux concernés, comme la Gaîté Lyrique avec le podcast Afrotopiques de Marie-Yemta Moussanang, qui aborde les grandes questions contemporaines depuis la perspective des Suds et des mondes africains. “Ça me prend la tête quand je vois des personnes qui abordent des questions de voguing, de colonisation ou d’esclavage avec l’ angle de la curiosité”, regrettait la metteuse en scène afro-féministe Rebecca Chaillon, de l’association Décoloniser les arts. “Je me dis que ça serait vraiment intéressant et que ça changerait les choses si c’était des personnes concernées qui avaient les moyens de raconter ces histoires.”

Un musée complètement décolonisé est-il seulement possible ? Françoise Vergès est très claire : “Un musée décolonial existera dans une société décolonisée, c’est-à-dire où le racisme structurel, la dépossession, le patriarcat, l’extraction et l’exploitation seront abolis et que nous pourrons vivre en paix sur une planète qui n’est plus systématiquement détruite.” Beau projet !

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