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Et si l’art de la table était un art total ? Longtemps associé à la tradition et aux règles de savoir vivre, on le voit peu à peu devenir un nouvel art de vivre ultra-contemporain – sinon un art tout court. Si les maisons de mode, de Ganni à Prada, en ont fait leur dada, ça n’a rien de surréaliste : haute cuisine et haute couture sont deux artisanats qui partagent bien plus qu’un bon repas le temps d’un événement marketing.
Alors que la mode tient ces jours-ci le haut de l’affiche dans les musées, la food commence subrepticement à y mettre le pied. A Paris, six artistes culinaires représentent parfaitement cet élan. Elles viennent de la couture, ont fait des études d’archi, d’art et de design ou sont autodidactes, mais elles ont toutes fini dans la création comestible – jusqu’à parfois infiltrer le monde de l’art contemporain.
Alina Prokopenko
La plus perchée – et peut-être notre préférée – de ce beau défilé vient de Kiev (qu’elle a été contrainte de quitter pendant la guerre), se forme aujourd’hui à la cuisine chez Ferrandi et s'affranchit des diktats du bon goût diffusés sur les réseaux. Résidente au Café Mātēr de Lafayette Anticipations (qui change de nom en février 2024), Alina Prokopenko crée des œuvres comestibles en écho avec les expositions du centre d’art contemporain, à côté de ses séries plus personnelles. Comme cette dernière expérimentation de “French clichés as desserts”, regroupant des gâteaux en trompe-l’œil d’huître, de rouge à lèvres ou… de cendrier usagé, qu’elle met ensuite en scène dans de petites vidéos aux faux airs de performances.
Marie Méon
Diplômée de l’école Camondo en architecture d’intérieur et design, Marie Méon dessine aujourd’hui des cènes culinaires qui prennent vie comme au théâtre. Via son studio de création, opportunément nommé MANGER MANGER, elle raconte des histoires qui se mangent pour des marques de luxe (Prada, Pomellato) et labels hypés (Ganni, Baserange). Elle crée des gelées où les couleurs fondent comme sur une toile de Rothko, qu’elle taille parfois comme des diamants ou garnit de fruits frais, et dresse des tables au milieu d’œuvres dans des galeries (chez Perrotin pour H&M ou à la galerie Gismondi pour Gucci). Si elle venait à exposer, on prendrait nos billets sans hésiter.
Andrea Sham
Issue d’une lignée de foodies, bercée par la restau’ et la boulangerie, Andrea Sham n’avait pas prévu d’en faire son métier. D’ailleurs, est-ce vraiment arrivé ? Sa première expérience en pâtisserie, elle le doit au fruit du hasard. Et ce qu’elle fait aujourd’hui, c’est avant tout de l’art (qui se mange, certes). Cet été, elle était d’ailleurs en résidence de création au centre d’art contemporain new-yorkais The Invisible Dog Art Center. Ses œuvres, gâteaux et banquets, s’inspirent de la nature, ressemblent à de la peinture ou flirtent avec la sculpture. Ses ingrédients : des fruits, des fleurs, un peu de beurre et beaucoup de grâce.
Laszlo Marie Badet
Avant de lancer sa “cantine” (plutôt un studio de création), Laszlo Marie Badet était couturière chez Chanel. Petite main, elle l’est toujours, mais en toute indépendance – et plus seulement autour du vêtement. Pour des grandes marques (de mode notamment) et événements, elle élabore des mets de fée, sucrés comme salés, en portant une attention toute particulière à la scénographie de ses tablées. Avec sa patte précieuse et champêtre, elle habille de simples fruits de fines dentelles de sucre, noue et dénoue la pâte feuilletée comme du ruban autour de ses tourtes et pâtés. Des croûtes, somme toute ? Mais des croûtes haute couture.
Monika Varšavskaja
Elle vient d’Estonie, étudie aujourd’hui aux Arts déco en design graphique et imagine des performances gastronomiques. Si elle a basculé dans la food un peu par hasard, à la faveur du confinement et de l’engouement d’Instagram pour ce qu’elle s’amusait à partager, Monika Varšavskaja en a vite fait une spécialité. Le château de la Haute Borde, qui mêle la création artistique à l’hôtellerie, l’invite en résidence, des galeries et centres d’art émergents lui proposent d’imaginer des expériences gastronomiques… Ses dernières œuvres ? D’élégants et graphiques mets inspirés de la mosaïque et du carrelage. A manger à même le sol de sa cuisine pour les jusqu’au-boutistes.
Zélikha Dinga
On avait découvert Zélikha Dinga via ses glaces (parmi les meilleures mangées cette année) au 3537 cet été. Cet automne, elle réalisait un workshop artistique entre cuisine et scénographie autour du concept de pique-nique au Domaine de Boisbuchet, un centre culturel d’art et de design en pleine nature. Avec son agence, Caro Diaro, elle crée des installations (comestibles ou non) pour des marques, des magazines ou des événements culturels. Pour celle qui, après une école de ciné (le nom de son agence serait-il un clin d’œil à Nanni Moretti ?) s’est retrouvée sur les bancs de Ferrandi, le film ne fait que commencer.