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Montezuma, Bambino, Stéréo… En trois mois, les ouvertures de bars mixant vins naturels et vinyles bien diggués se sont multipliées dans la capitale. Analyse d’une tendance qui ne fait que commencer.
Renouveau du Burkinabé Amadou Ballaké s’échappe d’enceintes Klipschorn rescapées du siècle précédent, diffusant sa vibe afro 70’s jusque dans la cave voûtée du sous-sol. Ce vendredi soir, une bande de vingtenaires en sortie de Fashion Week fête un anniversaire. De l'extérieur, impossible de deviner que cette discrète façade planquée à Bourse cache l’un des spots underground les plus pointus de Paris. Et pourtant…
Bienvenue au Montezuma : cool repaire pour mordus de musique et geeks de vins nature, sorti en catimini en octobre 2019. Artistes, musiciens, anonymes, gens de la mode… C’est ici qu’une faune éclectique vient trinquer et écouter des rare grooves. Tous les vendredis et samedis, Théophile de Penanster (membre du groupe nerdy Hi Dive) et Louis Mesana (caviste parisien et ancien importateur de vins aux States) invitent labels, radios ou disquaires à pousser des galettes pointues triées sur le volet. Bigwax Records, Dizonord, ou la nouvelle scène jazz londonienne (Vels Trio, Yazmin Lacey) : la crème de la scène indé !
Allier digging sonore et vineux ? C’est la grande force de ce petit bar. Dans les verres (tous à 6 €), des vignerons atypiques, étonnamment peu connus du grand public, comme Olga des Grottes ou Christian Ducroux dans le Beaujolais, côtoient les vinyles rares, à l’instar de ce private pressing plus que confidentiel, ramené par le Londonien James Hatley, et tirée à seulement 200 exemplaires dans le monde.
Une tendance mondiale, venue du Japon
Le phénomène n’est pas nouveau, rappelle Louis Mesana. « On appelle ça des bars hi-fi. C’est un héritage de la tradition tokyoïte des kissaten, ces bars audiophiles nés dans l'après-guerre des années 1950 ». A cette époque, les cafés jazz sont les repaires d’une poignée de mélomanes qui se réunissent pour écouter des vinyles importés ou difficiles à trouver. Aujourd’hui, la tendance est mondiale : en dehors de l’archipel nippon, on peut citer Brilliant Corners à Londres (2013), Little Jerry à Toronto (juillet 2019) et surtout Nightmoves, ouvert en octobre 2019 à New York par James Murphy, le leader de LCD Soundsystem !
A Paris, Louis et Théophile ne sont pas les seuls à jouer l’accord vins/musique. En l’espace de quelques mois, les ouvertures de barav à platines se sont multipliées dans la capitale. Stéphane Rozey, marchand et agent de vins bien connu du milieu, mais aussi ex-disquaire et patron de label, a mis sur orbite en juin dernier une autre coolosse cave à manger, ancrée dans une ex-laverie des Batignolles (Au Petit Rozey, 17e). Régulièrement, il y propose des soirées vino-jazz avec le label parisien Komos.
On peut aussi citer le très festif Bambino lancé en novembre dans le 11e, suivi dans la foulée de Stéréo (9e) sorti en janvier dernier ou encore Bu, rade minimalo-brutaliste sorti de l’œuf en 2019. Ultime exemple ? Thomas Vicente, un des assoces du bar à vin naturel Le Verre Volé, a carrément monté en parallèle son propre label de musique : Atangana Records.
Vins et musiques déviants, même combat ?
Le premier à avoir eu l’idée de rapprocher vin indé et musique ? Christophe Lepreux, ancien chef de rayon de la Fnac et commercial pour le label Nocturne. Quand la maison a mis la clé sous la porte, c’est tout naturellement que ce passionné de vin libre a lancé en mars 2015 sa Cuve à Son, génial ovni mi-disquaire mi-caviste, du côté de Ledru-Rollin. « Quand on écoute une bande magnétique ou un vinyle, c’est comme quand on boit un vin nature », dit-il. « Toutes les émotions ressortent, les qualités, mais aussi les défauts. » Avec ces jus de raisin fermentés, sans ou avec très peu de conservateurs (les fameux sulfites ajoutés pour stabiliser le vin), on est sur une matière non figée, imparfaite, éminemment vivante et émotionnelle. Pour ce grand spécialiste de la K7 audio, il y a ici quelque chose qui relève de « l’art naïf. Le vin naturel, c’est comme ces sons : c’est beau parce que c’est brut, parce que c’est sincère. »
Louis Mesana, co-taulier du Montezuma, appelle ça « la beauté de l’accident » : « Il faut accepter un vin brut, avec ce qui serait considéré dans le monde du vin conventionnel comme des défauts (la volatile ou de la souris), parce qu’il offre un charme unique : une texture, une digestibilité supérieure, des aromatiques inédits… »
Enfin, certains vont plus loin et tentent de faire sonner le vin en buvant des vinyles. C’est ce que proposent Fabien Korbendau et Christophe Mariat, auteurs d’un chouette bouquin pour mélomanes œnophiles paru en 2017 aux éditions de l’Epure, et qui réunit 50 pairings culte, De la Vigne aux platines, Histoires d'accords rock & vin. Mais aussi le docu Punkovino, que j'ai imaginé pour Arte, et qui joue le jeu de la « vinesthésie » - parler du vin autrement, non pas avec des mots mais via des impros musicales ! Résultat ? Que ce soit dans un bar, un bouquin ou sur la toile : in vino musica !