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500 pompiers étaient mobilisés hier soir pour tenter de sauver des flammes le monument historique le plus visité d’Europe (13 millions de visiteurs par an). On est allé sur place, à la rencontre des Parisiens et touristes massés sur les quais de Seine pour recueillir leurs témoignages. Entre nuit blanche et émotion.
Il est 18h50 quand nous apprenons la triste nouvelle. Notre-Dame de Paris en train de partir en fumée, littéralement. Pas envie de sortir un énième article dans la rubrique faits divers - ce n'est pas notre genre -, mais l'idée de voir le symbole ultime de Paris bruler en restant là, les bras ballants, était impensable. Ni une ni deux, on prend notre calepin et on décide de s'y rendre. Cap sur l’île Saint Louis et son triste spectacle.
Tout de suite, on s’approche de Léna, 28 ans au compteur, arrivée précipitamment du 13e pour gonfler un peu plus les rangs de la foule. « Je me faisais à manger quand ma colloc' m'a dit ce qu'il se passait. J'ai immédiatement couru vers le Pont d'Austerlitz... J'ai tout de suite senti que c'était un soir spécial... »
Comme tous les gens autour de nous, elle a la mine défaite. Peinant à s'exprimer sans émotion, elle nous raconte que la cathédrale est avant tout un souvenir d'enfance. C’est le cas de beaucoup de gens ici : « Petite, j’habitais le 3e arrondissement et j’allais au lycée dans le 5e à pied. Je passais devant Notre-Dame deux fois par jour. C’était aussi là qu’on se donnait rendez-vous parce que c’est l’épicentre de Paris. » Elle évoque aussi « le poids de l’Histoire. Se dire que ça a tenu toutes ces années, depuis le Moyen-âge. Et puis là, imaginer que c'est peut-être la fin... »
Un peu plus loin, alors qu’on entre sur l’île de la Cité, la foule se fait encore plus compacte. Autour de nous, on entend du français, de l’anglais, de l’italien du chinois et bien d’autres langues encore. On aperçoit au fond le bâtiment en flammes, dans une vision apocalyptique. Yoann, 27 ans, réalisateur et Parisien du 20e arrondissement : « On n’est pas dans une actu, on est dans un autre siècle. Là, clairement, on est au Moyen-Âge, ça y est, on va sortir les épées, on va venir nous mettre à l’abri ! La Peste va arriver ! » Derrière l’humour noir, on sent l’émotion. « Notre-Dame ne peut pas tomber comme ça ! Ce n'est pas possible, c’est un symbole trop important… »
On avance lentement, au coude à coude, dans un silence entre stupeur et recueillement. On bute sur quelque chose au sol, mais la foule est si dense qu’on ne voit pas nos pieds. On comprendra plus tard qu’il s’agit d’un interminable tuyau d’arrosage. Et puis cette odeur…
Des prières contre les flammes
Des gens commencent spontanément à chanter d’émouvants « ave Maria ». On s’arrête auprès de deux d’entre eux. Maelys, 22 ans, est étudiante, et ne vit pas à Paris. Son ami, Alexandre, la trentaine, est parisien. Elle raconte : « Mes amis avaient fait un pèlerinage à Chartres, le pèlerinage des étudiants. Du coup on devait se retrouver ce soir dans le 17e. Je reçois un message d’Alexandre qui m’indique que Notre-Dame est en feu. Au début, je ne le crois pas ». Passé l’incrédulité, « on s’est dit qu’il fallait vraiment qu’on y aille, on ne pouvait pas rester comme ça. On veut porter un message d’espérance. C’est pour ça qu’on a lancé un chant ». Pour cette jeune fille, qu’ils soient croyants ou athées, « tous les Parisiens ont un lien particulier avec Notre-Dame. C’est très émouvant de voir tout cet attroupement populaire… Regardez, on est tous là près des quais, ça fédère même tous les touristes. » Sa voix se brise. « Forcément ça nous marque. C’est un moment historique. Ça ne sera plus jamais comme avant. »
Sur notre droite, on entend de discrets sanglots. Une femme est plantée là, seule, la quarantaine. Ji-Hyun vient de Séoul. Ce qui se déroule ce soir la touche particulièrement. « J’étais bouddhiste, mais l’année dernière j’ai décidé de me convertir à la foi catholique. Je suis allée en France pour étudier la Bible et je devais justement être baptisée cette semaine. » Le mois dernier, elle était dans ce monument qui se consume sous ses yeux. « Je suis très triste. J’enseigne l’Histoire de l’Art en Corée. J’ai expliqué tellement de fois l’Histoire de Notre-Dame à mes élèves… »
Car oui, au-delà des quelques passant, c'est bien l'ensemble de l'humanité qui a les yeux braqués sur ce monument. Heureusement, la structure de l'édifice, et notamment ses deux tours, ont échappé à l’incendie. « Fluctuat nec mergitur » résumera l'un d'eux.