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Circulation coupée, recyclage des matériaux, questions de fric… Depuis quelques jours, ça jacte sévère aux abords de l’Arc de Triomphe ! Dernière œuvre des amoureux Jeanne-Claude et Christo, cet empaquetage irrite autant qu’il séduit, mais ne laisse personne indifférent. Chez Time Out, on a voulu comprendre pourquoi, en se rendant directement sur les lieux du crime. Alors, offrande divine ou cadeau empoisonné ?
En sortant de la station Charles-de-Gaulle – Étoile, il ne fait aucun doute : l’Arc est plus que jamais la star des Champs-Elysées. Perches à selfie et gros reflex de pro s’agitent sur la plus belle avenue du monde pour être sûr de capter l'événement de l’année : “Christo et Jeanne-Claude à Paris”. Érigée à titre posthume, l'œuvre pensée par le duo d’artistes fascine autant qu’elle agace : comment ne pas avoir un avis face à cet énorme papier cadeau de 25 000 mètres carrés de tissu recyclable, enrobant l’Arc de Triomphe, lui qui trône aussi fièrement dans l’espace public ? La maire de Paris, Anne Hidalgo, l’a d’ailleurs dit elle-même : « Le monument appartient à ses visiteurs. » Mais les visiteurs, eux, sont mitigés.
Pour comprendre le projet, il faut revenir au début de la carrière de Christo Javacheff, jeune Bulgare fraîchement arrivé à Paname : “Dans les années 60, je vivais dans une petite chambre de bonne et depuis la fenêtre, je pouvais voir l’Arc de Triomphe. J’avais d’ailleurs imaginé un projet à cette époque-là, jamais réalisé.” Il fallait juste être patient et attendre soixante petites années… Mais les rêves un peu fous, c’est ce qui a toujours animé Christo et Jeanne-Claude : dans les années 60, ils recouvrent de tissu blanc une côte au sud de Sydney, puis, dans les années 80, ils bordent les îles de la baie de Biscayne (Miami) d’un maousse ruban rose. Et après avoir eu raison de l’administration française et – déjà – des nombreuses critiques des Parisiens lors du projet de l’emballage du pont Neuf en 1985, relooker l’Arc de Triomphe semblait presque facile. La réception, elle, est beaucoup moins chill.
Mais pourquoi cette œuvre énerve-t-elle tant certains Parisiens ? Bon, déjà, il faut avouer que le Français a un problème avec les œuvres in situ. Que ce soit le Bouquet de tulipes de Jeff Koons (2019), le “sapin de Noël” sauce sextoy de Paul McCarthy (2014) ou le Dirty Corner (élégamment surnommé “le vagin de la reine”) d’Anish Kapoor (2015), chacune de ces pièces a suscité la controverse, provoquant tweets assassins ou dégradations matérielles. Sans surprise, l’empaquetage ne fait pas exception.
Ce qui choque cette fois, ce n’est pas l’atteinte aux bonnes mœurs – qui a été reprochée aux œuvres précédemment citées – mais probablement le caractère colossal de l’entreprise, aussi bien en termes de fric dépensé que d'énergie déployée. “C’est jeter de l’argent par les fenêtres, et pas écolo du tout !”, s’agace Francine, une Parisienne pas fan du tout du projet. Pourtant, même si les 14 millions investis dans l’emballage ont de quoi faire cogiter, ils sont le fruit d’un autofinancement réalisé à 100 % à partir des ventes du duo.
L'argument écologique revient lui aussi souvent, bien que la toile utilisée soit entièrement recyclable. L’architecte italien Carlo Ratti s'en était ému dans une tribune publiée dans Le Monde le 11 septembre dernier : “L’Arc de Triomphe n’est certes emballé que de tissu recyclé, mais cela ne suffit pas. […] Alors que nous cherchons à sortir d’une société de surconsommation en Occident, nous devons abandonner l’esthétique des emballages à haut gaspillage.” A ces deux critiques principales s’ajoutent évidemment la question esthétique : pourquoi dissimuler un joyau du patrimoine français derrière une espèce de bâche ? Sans compter les automobilistes agacés de la piétonnisation de la place de l’Etoile durant les trois week-ends à venir. Bref, les colères s'additionnent autour de l'œuvre.
Heureusement, certains lui trouvent encore du charme et s’extasient tour à tour à la vue des reflets argentés de la toile ou devant l’événement que constitue le fait d’avoir un Christo posthume à Paris. Face à cette polémique, on ne peut que sourire en imaginant le couple, sur un p’tit nuage emballé là-haut, s’amuser de l’effet que produit leur art. Car après tout, une grande œuvre n’est-elle pas censée susciter le débat ?