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Les K.releuses pansent les failles de la ville. Voilà plusieurs années que ce collectif de street artistes anonymes s’est fait remarquer en lézardant le bitume du Nord-Est parisien de ses œuvres carrelées aux motifs bleus rappelant les azulejos, les carreaux de faïence décorés qu'on trouve un peu partout sur les bâtiments en Espagne ou au Portugal.
Dans la version parisienne, nos K.releuses repèrent des petits trous dans des rues grises et les comblent, à l’aide d’un peu de mortier, avec leurs pavés colorés. Outre un désir de visibiliser les femmes, les figures représentées (des animaux, des plantes, des paysages et des personnages illustres) appellent, en pleine jungle urbaine, à l’évasion, à la douceur, voire à l’utopie. Alors qu’elles sont en train de cartographier leurs plus de 180 œuvres, toutes accompagnées d’un QR code qui renvoie vers une fiche explicative (aka leur compte Insta), elles nous ont expliqué d’où venait cette envie de réparer du pavé.
Comment le collectif s’est-il constitué ?
Tout a commencé il y a quelques années avec la découverte d’un four à céramique appartenant à l’une de nos grands-mères. C’est grâce à elle, même si elle n’était plus là, et à ses plumes et ses pinceaux, que nous avons pu nous initier à l’art de peindre sur des K.ros. On aime bien poser ensemble des K.ros dans la rue, réparer la ville et apporter un peu de poésie dans ses failles.
Comme son nom semble l’indiquer, le collectif est-il seulement féminin ?
Les K.releuses n’est pas un collectif exclusivement féminin ou masculin, nous sommes à géométrie variable. Mettre en valeur les femmes dans la rue et dans le street art nous semble important. C’est pour cela que nous avons choisi de représenter des personnalités féminines dans plusieurs de nos œuvres. On nous pose souvent la question de l’anonymat et nous préférons parler de discrétion, justement pour ne pas mettre en valeur un nom, une personne, un parcours de vie. Ce qui nous intéresse, c’est d’offrir un moment de surprise dans le quotidien des gens, embellir la ville, et peut-être passer un message pour nous inciter à prendre soin de notre environnement.
D’où vient votre passion pour les azulejos ?
Elle vient de notre histoire et de nos voyages dans la péninsule ibérique. On aime leur couleur bleue, la façon dont ils sont posés partout dans les rues, sur les balcons, les façades des gares et des marchés, recouvrant la ville d’une seconde peau qui l’embellit. On aime aussi le fait que certains racontent des histoires qui parlent aux gens. Au lieu d’une façade lisse et grise, on voit des fleurs, des paysages, des personnages, ça donne un imaginaire positif à la ville.
Quelles sont vos autres inspirations ?
Les sources d’inspiration sont infinies quand on ouvre les yeux ou qu’on tend les oreilles en se baladant. On se nourrit aussi des anciennes illustrations botaniques. On aime beaucoup Hokusai, le dégradé de ses bleus pour le ciel et la mer dans ses estampes mais aussi ses milliers de croquis où il reproduit le monde à travers sa plume : faune, flore, paysages, vie quotidienne… On en est très loin mais ça nous fait rêver d’imaginer qu’on pourrait se rapprocher de ce côté encyclopédie du monde vivant dans cinquante ans.
Comment se déroule l’installation d’une de vos œuvres ?
Généralement, on commence par trouver un beau trou dans la rue, pas trop profond, avec une forme bien délimitée. On cherche un sujet inspirant à représenter et on découpe un K.ro à la taille adaptée. Vient l’étape de la peinture sur faïence puis la cuisson à haute température avant d’aller poser dans la rue. La durée de toutes ses étapes est très variable. On pourrait faire le tout en une semaine mais généralement, il y a plusieurs mois entre le repérage du trou, le dessin et la pose.
Quels sont les matériaux et les pigments utilisés ?
Notre matière première, ce sont de simples carrelages blancs qu’on utilise comme des feuilles de papier. On peint dessus avec un mélange pigment bleu/médium/solvant qu’on fabrique nous-mêmes pour chaque pavé.
Comment choisissez-vous les endroits et les motifs que vous peignez ?
Les sujets des peintures varient selon les situations. A l’origine, ils viennent des moments d’étonnement, des choses qu’on trouve belles dans notre quotidien : ça peut être un point de vue surprenant sur un bâtiment, un animal qui passe furtivement, une plante minuscule… Depuis quelque temps, on pose aussi en voyage ou pour des villes qui nous font une commande. Dans ces cas plus lointains, on lit et on fait des recherches pour dénicher, dans l’histoire ou la biodiversité locale, des pépites à peindre.
Quel est le message derrière l’idée de créer des œuvres dans les endroits “abîmés” de la ville ?
On aime l’idée de réparer la ville en racontant des histoires, insérer un peu de poésie en comblant des failles, là où justement la ville a besoin qu’on prenne soin d’elle.
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