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L'épopée punk du Chateaubriand, racontée dans un livre événement

Une pléiade d'anecdotes de client.e.s célèbres et de chef.fe.s tirent le portrait du restaurant mythique ouvert par Iñaki Aizpitarte

Écrit par
Aitor Alfonso
Assiette Le Chateaubriand
© Benjamin Malapris
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Il fallait bien un pavé pour raconter celui qu’une bande de surdoués ont lancé bruyamment dans la mare de la gastronomie au milieu des années 2000. Un beau bouquin compact au dos imitation Pléiade qui réunit “l'œuvre complète” (sic) du Chateaubriand, le bouclard parisien le plus important de sa génération. 

Une bistromance, une belle histoire

Le restaurant du 129 avenue Parmentier y est narré par celles et ceux qui l’ont vu naître, grandir et tout péter. Pendant trois ans, les journalistes François Chevalier et Stéphane Peaucelle-Laurens ont recueilli les souvenirs d’une centaine (!) de personnes (associé(e)s de la première heure, ancien(ne)s employé(e)s, figures de la food ou personnalités) qui ont vécu une partie de leur vie amarrées à son comptoir.

Au Chateaubriand en 2009
© Trin LaiFranck Audoux, Fred Peneau et David Loyola au Chateaubriand en 2009

On y croise le duo fondateur Iñaki Aizpitarte, chef libre et punk, et Fred Peneau, restaurateur de génie mais aussi Philippe Katerine, qui y a fini à poil (décidément) ; Jonathan Cohen, qui y bossait comme serveur (c’est pas un mytho) et qui a même composé la chanson du resto ; Raquel Carena, figure tutélaire du mythique Baratin ; François Simon, chroniqueur culinaire et mangeur masqué ; Franck Audoux, alors runner infatigable et désormais mixologue de Cravan ; ou Bertrand Grébaut, chef du futur Septime, qui trouva son chemin de Damas là-bas. 

Un long entremêlement de verbatims et de souvenirs de toutes sortes, car tout ne fut pas que joies et succès dans cette adresse légendaire. Comme le rappelle la préface du livre, “le Château aurait pu crever 100 fois”. Mais toutes les personnes interrogées s’accordent sur une chose : ce restaurant a changé leur vie et nos assiettes. 

Château l'artiste ! 

Le parcours du chef Iñaki Aizpitarte y est retracé depuis ses débuts expérimentaux au bistrot la Famille à Montmartre en passant par le restaurant du musée MAC VAL à Vitry où, pendant quelques mois, il s’inspire des œuvres d’art exposées pour proposer des plats fulgurants et décalés, comme cet unique pépin de pomme servi dans une grande assiette blanche, pour la modique somme de 30 € ! Un pied de nez à la gastronomie et à l’art contemporain qui amuse autant qu’il agace (“Génial mais nul !”, cingla François Simon). 

Le Chateaubriand
© Mickael A.Bandassak

En 2006, fin de la récré : Fred Peneau, restaurateur de son état, et Iñaki Aizpitarte cherchent à s’installer dans ce 11e qui reste encore une no-go zone culinaire, ou presque. Le Chateaubriand, bistrot fort en gueule à un jet d’olive du métro Goncourt, est alors tenu par la cheffe anglaise Susan Jane Aufray, qui finit par leur vendre. Sous le parrainage de Raquel et Pinuche du Baratin et avec l’aide de quelques amis (David Vincent-Loyola, futur patron de Aux Deux Amis, Erwan Pennaneach, Franck Audoux), le “gang du Chateaubriand” peut commencer à sévir. 


Un cœur de gastro dans un corps de bistro

Mais qu’a inventé le Chateaubriand au juste ? Une expérience de resto d’avant-garde délestée des codes plombants de la gastronomie ampoulée, dans un décor de troquet populaire. Dans le sillage d’Yves Camdeborde et sa bistronomie, le Chateaubriand jette la nappe aux orties et laisse les trop bonnes manières au vestiaire. La musique est à pleine balle en cuisine, les quilles naturelles se vident toutes seules et les assiettes spontanées, renversantes – parfois ratées aussi –, sont envoyées par une bande de potes en baskets, aussi stylés que mal rasés. 

Devanture du Chateaubriand
© Benjamin Malapris

Ils s’accroupissent nonchalamment au bord de la table pour les présenter au client car le brouhaha est tel (ils l’appellent “le château bruyant”) qu’on s’entend à peine dans ce bouclard, comme le rappellent tous les témoins. A l’époque, le Chateau’ est à la cuisine ce que le Rex Club est à la French touch en musique. Désormais, à Paris, on va au restaurant comme on va en soirée ou à un concert.

Et le 11e devint le Foodistan

En 2006, la scène culinaire parisienne est divisée, comme le rappelle Bertrand Grébaut : “Soit tu avais des bistrots à l’est comme le Baratin, où tu buvais nature, soit tu mangeais dans des étoilés à l’ouest. Personne n’avait encore éclaté les frontières.” Sans jamais conceptualiser leur cuisine, Iñaki Aizpitarte et Fred Peneau ont l’intuition de tenir un truc, une idée neuve et forte. Leur cuisine d'instinct est faite d’associations percutantes, inédites et d’une grande netteté – les anciens se souviennent avec nostalgie de la formule dej à 16 € ! 

Les assiettes d’Iñaki ne sont pas des prouesses techniques mais reposent sur des accords fulgurants. Bertrand Grébaut reste sur le cul : “Là, je bouffe des trucs de ouf : en entrée, un voile de carotte fait à la machine pour dérouler les légumes sur du thon à moitié cru, […] un condiment ovni, et un dessert avec des variations autour des ferments lactiques avec de la mozza, de la crème, du yaourt. Ça m’a tué.” Le chef de Septime, alors encore dans ses rêves d’étoiles et de concours, en sort chamboulé. Comme le dit le chef danois René Redzepi : “Avec eux, ce qui était sauvage est devenu la norme.” Et voilà comment le 11e est devenu l’Eldorado des foodistas.

Assiette au diner
© Le Chateaubriand

Tout ceci n’est qu’une petite partie de ce livre truffé d’anecdotes romanesques, de souvenirs de teuf et d’aspérités de parcours. Il a aussi le bon goût de ne contenir AUCUNE recette (alléluia !), ce tic éditorial des livres de chef. Ce serait de toute façon peine perdue de vouloir fixer les plats aizpitartiens à l’écrit… Et puis ce bouquin n’est pas affaire de grammage ni de tour de main, mais la chronique orale d’un lieu parisien. C’est la grande réussite du projet : faire du Chateaubriand lui-même le personnage central de cette histoire.

LE CHÂTEAU, le livre sur l'histoire du restaurant Le Chateaubriand
Rédaction : François Chevalier, Stéphane Peaucelle-Laurens
Photographies : Benjamin Malapris
Entorse Editions, 440 pages, 55 € 

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