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Les Grands Voisins, c'est fini : retour sur 5 années d'une folle épopée

Les Grands Voisins, c'est fini : retour sur 5 années d'une folle épopée

Tina Meyer
Écrit par
Tina Meyer
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Le fantastique lieu de vie de Denfert-Rochereau (14e) tire le rideau le 27 septembre. En popularisant un concept jusque-là inexistant dans la capitale, le spot a révolutionné la friche culturelle. Sans jamais s’enfermer dans la caricature bobo, les Grands Voisins ont impulsé un vrai modèle novateur, permettant l’éclosion de petits nouveaux (Les 5 Toits, Sur les Rails…). Une alternative solidaire et citoyenne, un écosystème viable réinventant la société, l’écologie, la sociologie du travail… Rien que ça ! On a est allé à la rencontre de ses piliers, pour retracer cinq années d’une histoire en plusieurs tomes, commencée en octobre 2015. 

 Khalifa Sarr, 33 ans, ex-résident des Grands Voisins, membre du groupe KaceKode

© Tina Meyer
© Tina Meyer

« Je venais du Sénégal. Au début, j'étais vendeur à la sauvette, je vendais des Tour Eiffel au Trocadéro. Vendre c'était pas mon truc ! (rires) J'étais tellement pas fait pour ça que je me faisais engueuler parce que j'offrais mes Tour Eiffel aux gamins qui m'en demandaient une.

Un jour, un compatriote, Mass, me parle du lieu. J'ai débarqué ici en 2016. Ce lieu m'a redonné confiance. Quand tu rentres ici, tu vois la lumière. C'est un lieu magique. Un lieu de rencontre.

Je viens d'une famille d'artistes, au pays, mon père chantait des chants religieux, ma mère écrivait des poèmes. Un jour, j'étais à côté d'Adrien (Collet, l'artisan-luthier des Grands Voisins, NDLR). Il a branché sa guitare à l'ampli, il a commencé à jouer, j'ai commencé à chanter. Il s'est alors arrêté et il m'a dit : 'toi, tu es musicien. Qu'est-ce que tu fais ici ?' J'ai cru qu'il se foutait de ma gueule ! 

Très vite, on a décidé de créer un groupe de musique. C'est comme ça que KaceKode est né, avec d'autres résidents des foyers d'hébergement d'urgence des Grands Voisins. Dans KaceKode, il n'y a aucun membre fixe, ça change tout le temps. Au début il y avait Néji, Isaac de Pangéa (foyer de travailleurs étrangers présent sur le site ans la saison 1, NDLR).... Thierry aussi, un punk qui vivait dans la rue depuis vingt ans.

On a enregistré un premier album, Rencontres de Voisins. Et on a fait beaucoup de concerts à La Lingerie, et dans d'autres lieux parisiens : au 6B; au Glazart, lors du festival des Murs à Pêche, à Montreuil... J'ai aussi donné des cours de danse, joué lors de la cérémonie des voeux du maire du 14e. Et même, en 2018, représenté les Grands Voisins à la Biennale de Venise ! Tout ça m'a donné des ailes. La musique m'a soigné.

Après les Grands Voisins ? On va continuer, ailleurs. Exils, notre deuxième album, sort en octobre. J'ai déjà trouvé un logement ailleurs, Adrien est déjà en résidence à la Villa Mais d'Ici, à Aubervilliers. Dans la vie il ne faut jamais perdre espoir. » 

Ghada, ex-résidente et occupante, devenue restauratrice (Chez Ghada)

© Tina Meyer
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"Je suis arrivée en 2016, suite à un divorce, grâce à l’association Cœur de Femmes, un des centres d’Aurore. Ça faisait longtemps que je voulais faire une formation en cuisine car j’adorais cuisiner. Mais avec les enfants et ma situation précaire, c’était impossible. Et une formation classique demande beaucoup de présence...

Quand je me suis retrouvée aux Grands Voisins, c’était bizarre. Je n’avais pas l’habitude de ne pas travailler, je n’ai jamais touché le chômage ni le RSA. Au début, c’était un peu triste.

Ils étaient en train de monter le projet des Comptoirs avec Emma [un restaurant qui voit le jour en 2017, tenu par des résidents]. Et elle a proposé de m’impliquer.

C’était vraiment une opportunité pour moi ; je l’ai saisie à fond. C’était une chance qui tombait du ciel. Ça a été mon vrai départ. J’ai repris confiance en moi, j’ai énormément appris et j’ai gagné 10 ans d’expérience. Désormais, je cherche un local dans Paris pour lancer mon restaurant tunisien. »

© Vassili Feodoroff
© Vassili Feodoroff
Emmanuelle Lavaur, résidente, cheffe de cuisine et responsable du pôle alimentaire de Yes We Camp
© Anne-Claire Heraud
© Anne-Claire Heraud

« Je suis arrivée en 2015, juste pour donner un coup de main en cuisine. Une de mes meilleures amies m'avait parlé de ce lieu qui allait ouvrir. A l'origine, moi je venais de la restauration gastronomique - L'Agapé et L'Agapé Substance. Moins d'un an après, je vivais sur le site ! ça fait quatre ans, là...

Au début, les Grands Voisins devaient recevoir une subvention de la Ville de Paris. Laquelle, n'étant finalement pas obtenue, les oblige à repenser leur modèle. La Lingerie, initialement pensée comme simple café d'appoint pour résidents et occupants du site, devient le centre névralgique. Un restaurant ouvert du brunch au dîner. On y mange des plats à base de produits frais, locaux, de saison. Les visiteurs qui n'y vivent pas et n'y travaillent pas peuvent s'y restaurer, ce qui permet de faire rentrer des sous. 

Le lieu s'est inventé au fur et à mesure, et les rôle de chacun aussi. Ce qui était très fort, c'est que tous les publics se mélangeaient. Il n'y avait pas d'a priori. Des gens à la rue, qui venaient juste d'arriver grâce à l'accueil de jour, se mettaient rapidement à parler avec n'importe qui. La mamie du 14e avec ses petits-enfants dialoguait tôt ou tard avec des fêtards complètement arrachés de leur soirée de la veille. Personne ne pouvait dire 'tiens ce mec est un sans papier'. L'espace, l'imbrication étroite des publics, créait une respiration. » 

Marie, responsable du site pour Plateau Urbain :

« On a développé notre propre terminologie : occupants Vs résidents. Les occupants c'était ceux qui occupaient un espace aux Grands Voisins, toutes les structures qui louaient des bureaux. Les résidents, c'étaient les personés qui vivaient et habitaient sur le site dans l'un des 3 centres d'hébergement. 

Depuis le début, on aura accueilli environ 500 structures d'occupants, avec tous types de profils : indé, personnes enregistrées à la maison des artistes, start-up, assos...

Les occupants versaient des redevances, qui étaient en fait des contributions aux charges pour alimenter le projet commun, et non pas un loyer. Très concrètement, cela équivalait à 250 €/an du m2 = 3 à 4 fois inférieur au prix classique de location de bureaux dans le 14e. Du coup, ça a vraiment permis à de jeunes structures de se tester ou à des personnes en reconversion de dégager plus de ressources pour investir dans du matériel ou personnel. 

Ces ateliers d’artistes, c'était fondamental pour nous. Ca a permis de faire revenir la création et l'émulsion artistique au cœur de la ville, et non en périphérie comme trop souvent.

Les Grands Voisins restent une expérience inédite, unique, car même si des projets de ce type vont fleurir par la suite (je l'espère !), ça restera unique. On aura été les premiers à créer un terrain de jeu pour expérimenter de nouvelles manières de concevoir la ville, de mixer les usages, d'accueillir les plus précaires. On aura amené ces espaces de respiration et de liberté en ville, un lieu bienveillant et accueillant. » 


Khayri, 23 ans, résident, devenu DJ

© Tina Meyer
© Tina Meyer

« Je suis venu aux Grands Voisins en mai 2018. Je viens de Tunisie. Et à l'origine, je suis venu en France pour essayer de trouver un taf comme entraîneur de basket, mais je n’ai rien trouvé.

Je me suis mis à mixer, le son pour moi, c’est vital, c’est comme manger ou respirer. J’écris, je rappe, je fais du beatbox.

Stéphane, le responsable du bâtiment Albert 1er, sur le site, a commencé à me former. Puis m’a laissé passer des sons à La Lingerie. De fil en aiguille, j’ai commencé à acheter un peu de matos, à bosser, à faire des petites soirées.

Les Grands Voisins, c’est la famille ! S’ils n’avaient pas été là, je n'en serai pas là. Ce lieu, pour moi, ça aura toujours été comme une grande maison. Ma maison. L’Oratoire (autre restaurant, NDLR), c’était ma cuisine. La Lingerie, mon salon. Il y avait toujours, non pas une télé allumée, mais un concert, un débat. Bref, la vie quoi. »


© Victor Maestle
© Victor Maestle




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