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Le 5 juillet 2017, devant le musée des Arts décoratifs (MAD), une foule compacte n’attend qu’une chose : l’ouverture de l’expo consacrée à Dior. Jamais une expo mode n’avait provoqué un tel engouement, annonçant un tournant dans la relation entre mode et culture. “On a toujours fait des expositions mode, mais depuis Dior, les moyens mis en œuvre pour les réaliser ne sont plus les mêmes”, explique Sophie Lemahieu, conservatrice au département mode et textile du MAD. “C’est amusant de voir que c’est un monde qui a longtemps été laissé de côté par les musées.” Une évolution qui semble avoir conduit tous les musées parisiens, même ceux initialement éloignés du textile, à organiser leurs propres expositions mode annuelles. Le MAD a pris sa part avec par exemple Chanel en 2020, Schiaparelli en 2022, Iris van Herpen en 2023.
La mode, un art comme les autres ?
Entrée en grande pompe au musée, la mode peut-elle être pour autant considérée comme un art à part entière ? Pour Alexandre Samson, responsable de la création contemporaine au Palais Galliera, ça n’a pas beaucoup d’importance. “Ces désignations sont d’un autre temps. Mon avis est que le vêtement n’est pas de l’art : c’est de la mode, simplement. Mais elle est à considérer au même niveau que l’art.”
En tout cas, les deux partagent des codes, un amour du parcours, de la scénographie réussie et de l’éclairage bien étudié. C’est sans doute pour cela que lors des nombreuses Semaines de la mode qui rythment la capitale au fil de l’année, les musées restent des emplacements très demandés par les grandes maisons pour leurs défilés. Une façon de mettre la mode au rang des beaux-arts dans l’imaginaire collectif. “Ce n’est sans doute pas innocent de la part de certains couturiers d’investir les musées et de faire de leurs défilés des performances d’art contemporain”, estime Sophie Lemahieu.
A travers l’histoire, l’art et la mode se sont toujours influencés, donnant lieu à des collaborations légendaires comme Elsa Schiaparelli featuring Salvador Dalí, le Japonais Issey Miyake qui colle un nu d’Ingres sur des vêtements, ou la collection hommage de Saint Laurent à la star du pop art Tom Wesselmann. Pour la journaliste mode espagnole Marta Represa, les créateurs “s'inspirent constamment de l'art, de façon plus ou moins littérale. John Galliano a souvent été inspiré par l'art de la fin XIXe, Rick Owens est influencé par le brutalisme mais aussi par l'Art nouveau.”
Une affaire de sous ?
Une passion réciproque qui prend différentes formes, parfois incestueuses, comme à la rentrée 2023, quand la Fondation Louis Vuitton et la galerie Kreo exposent des œuvres de Virgil Abloh, ancien directeur artistique de… Louis Vuitton !
Les groupes de luxe se servent de l’image haut de gamme des beaux-arts mais l’intérêt est réciproque. Les musées se servent du pouvoir d’attraction de la mode quand ils lui consacrent des expositions. C’est une forme de stratégie marketing pour Alexandre Samson : “Certains musées traditionnels ont tendance à penser qu’exposer de la mode fera venir des nouveaux publics.” Pourquoi pas, mais il faut que ça fasse sens “avec les collections, avec le lieu, et que la mode ne soit jamais accessoire”.
L’idée est bien sûr de dynamiser le marché de l’art, qui semble s’inspirer de l’industrie florissante de la mode. “La mode est un commerce qui ne s’est jamais caché d’en être un”, poursuit le responsable de la création du Palais Galliera. “Aujourd’hui, lorsque l’on regarde la production en galerie, on voit que l’art contemporain copie les systèmes du marché de la mode avec des saisonnalités, des commandes, des demandes plus précises.”
L’immixtion de la mode dans les musées est évidemment une question de business, sourit Marta Represa. “Et pourquoi pas si c'est bien fait ?! C’est comme dans le cinéma, la sculpture ou l'architecture, il y a l'approche commerciale, de piètre qualité, et le sublime !” Et à voir la qualité des expositions parisiennes consacrées à la mode ces derniers temps, pas de doute : on est du côté du sublime.