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Rencontre avec Axelle Ponsonnet, l’architecte qui a dessiné le chantier de Notre-Dame de Paris pendant quatre ans

Avec son pass all access, elle a pu assouvir sa passion en dessinant la cathédrale pendant quatre ans sous toutes les perspectives.

Rémi Morvan
Écrit par
Rémi Morvan
Journaliste, Time Out Paris
Rencontre avec Axelle Ponsonnet, l’architecte qui a dessiné le chantier de Notre-Dame de Paris pendant quatre ans
© Axelle Ponsonnet
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Ça y est, samedi 7 décembre 2024, cinq ans après l'incendie, la cathédrale Notre-Dame de Paris va rouvrir ses bancs, ses voûtes et ses vitraux. Une reconstruction déjà surnommée “le chantier du siècle” et dont nous avons retrouvé une témoin privilégiée, Axelle Ponsonnet. A 28 ans, cette architecte et dessinatrice a été recrutée en sortie d’école en 2020 par le cabinet Pascal Prunet pour s’occuper de la reconstruction des toitures. Avec son pass all access, elle a pu assouvir sa passion en dessinant la cathédrale pendant quatre ans sous toutes les perspectives, dans une relation plus secrète et passionnée que celle de Jack et Rose dans Titanic. A la veille de la révélation, elle nous raconte comment elle a croqué Notre-Dame.

Quel était ton rapport avec Notre-Dame avant d’y travailler ? Et comment t’es-tu retrouvée sur le chantier ? 

C’était un rapport de Parisienne, pas forcément inexistant mais distant. Notre-Dame, je l’ai toujours vue sans y prêter attention, comme un mur de la ville. J’ai été embauchée comme architecte-dessinatrice pour assister les architectes du patrimoine. On devait redessiner tous les plans de la cathédrale pour les transmettre aux entreprises. On est là depuis quatre ans, répartis par pôles techniques : pierre, mobilier, et le mien, la toiture. Je travaillais sur la charpente et la couverture.

Quelle a été ta réaction la première fois que tu es entrée dans la cathédrale ?

J’ai été fascinée par l’ampleur du chantier, avec ce bâtiment qui, encore un an et demi après l’incendie, était dans un état de ruines avec la voûte effondrée, des grandes bâches, des filets. L’autre point qui m’a impressionnée, c’est l’hyperactivité de ce chantier avec des gens rodés sur ce qu’ils devaient faire. J’ai mis du temps à me sentir à l’aise dans cet édifice à la fois monumental et fragile, et c’est le dessin qui m’a permis de le faire.

Comment t’es-tu retrouvée à dessiner la cathédrale ? Était-ce officiel ? 

J’ai très vite voulu redessiner le chantier, avec l’idée de réunir ma pratique d’architecte et ma passion du dessin. J’ai dessiné d’abord timidement, sans trop de conviction, parce que je ne pouvais pas laisser passer cette opportunité. Puis j’en ai parlé aux architectes en chef qui m’ont autorisée à dessiner de manière plus officielle. A partir de là, je dessinais environ une fois par semaine. C’était des moments de concentration très intense, quasi méditatifs, loin du dessin à l’ordinateur qui est le quotidien de l’architecte aujourd’hui.

Comment choisissais-tu les sujets à dessiner ?

Avant de me sentir légitime dans cet édifice malade, il fallait le soigner. Il y avait une dimension d’impermanence assez fascinante où le chantier changeait tout le temps, les échafaudages étaient constamment déplacés. Les moments de dessin étaient en dehors des heures du chantier, quand il n'y avait personne dans la cathédrale, que je pouvais prendre le temps de me déplacer, de comprendre la proportion, son architecture. Des vrais moments de pause en décalage avec l’urgence du chantier. Mes pratiques du dessin et de l’architecture étaient au final très poreuses et se nourrissaient.  

Te souviens-tu de ton premier dessin ?

Très bien ! C’était en décembre 2020, c’était une vue du trou laissé par la croisée qui s’est effondrée quand la flèche a chuté. Il y avait cet échafaudage en place avant l’incendie qui avait fondu et était devenu un ouvrage complexe, instable, suspendu. Les équipes ont mis environ un an à l’enlever, et je suis arrivée pile au lendemain de la fin de cette première phase. J’ai senti une atmosphère de soulagement et j’ai voulu dessiner ce qui avait provoqué ça. Le dessin est une vue de nuit, au niveau des voûtes. On avait posé un plancher de chantier, on voyait le trou de la voûte, avec Paris de nuit et le mur pignon.

Comment a évolué le projet ?

A partir du moment où j’ai eu plus de temps à y consacrer, j’ai pu construire ce projet, sans autre objectif au départ que de documenter le chantier. J’avais envie de dessiner certaines vues, complètement improbables, comme marcher sur les voûtes, les échafaudages du haut et ces vues extérieures sur Paris. J’avais aussi envie de dessiner des endroits auxquels j’étais sensible sans forcément de documentation historique.

Comment se déroulait le processus ? 

A chaque fois que j’y allais, je me perdais, je passais une heure à me déplacer et trouver le point de vue. Ensuite, je réfléchissais au point de fuite, au cadrage, avant de faire un petit croquis format carte bleue, avec les grandes formes pour les proportions. Et c’est après ça que je dessinais, jamais en dessous du format A3, souvent demi-raisin. Il y avait bien trois quatre heures de dessin.

Comment a évolué ta pratique durant ces quatre ans ? 

C’est intéressant à regarder en série car on perçoit plusieurs phases, avec des dessins très précis au début pour m’emparer de la cathédrale, puis des dessins faits rapidement, plus abstraits, avec des grands aplats, où j’étudiais plutôt la lumière. Ensuite, il y a eu la construction de la flèche, que je suivais comme architecte avec cet énorme échafaudage. J’ai eu une obsession pour cette flèche : je l’ai dessinée depuis la toiture, du dehors, mais aussi avec des contraintes d’atmosphère, de météo ou avec le vertige. Enfin, il y a eu cette phase où je dessinais chez moi, sur des gravures monotypes, à l’encre sur une plaque de verre.

Y a-t-il un dessin qui t’a particulièrement marquée ? 

Je pense à celui avec la tête des anges qui sont sur la croix de voûte de la croisée. Je suis allée dessiner cet endroit quand ils avaient juste bâti les claveaux et les grandes arches de la voûte, il n’y avait pas encore les pierres qui faisaient le remplissage. Sur ce dessin que je n’ai pas eu le temps de terminer, j’ai juste bien dessiné la tête des anges qui a été sculptée de manière hyper fine et délicate et qui contrastait avec la technicité et le côté très brut des échafaudages autour.

Quel a été le sujet le plus délicat ? 

Les échafaudages justement. J’ai passé beaucoup de temps à les appréhender, à les dessiner comme un paysage de végétation. 

Combien de dessins as-tu faits ? Et maintenant que le chantier touche à sa fin, quels sont tes projets ?

J’ai une cinquantaine de dessins quasi finis. Plus des notes, des croquis, des carnets et beaucoup de photos pour garder des traces et continuer ce projet. Tout ça va me servir pour le livre que je sors fin janvier aux éditions Mitsu. J’ai aussi envie de faire des très grands formats pour rendre compte de la monumentalité du bâtiment. Après, pour tous les gens qui ont travaillé sur ce chantier exceptionnel, ça va être un peu dur d’enchaîner sur des projets plus solitaires.

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