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Son palais laser est aussi admiré que craint dans le petit milieu du vin moderne. Et pour cause, Vanessa Massé goûte plus vite que son ombre ! Cette trentenaire au sourire malicieux et au regard perçant a été élue meilleure sommelière de l’année par le guide du pneu, j’ai nommé le Michelin. C’est à Nice, en retrait du front de mer, qu’elle régente d’un tempérament de volcan son resto ultracontemporain Pure & V, établissement dont on se demande encore si le blaze de complément alimentaire et la déco froide rendent grâce à sa carte de vins de haut vol, farouchement naturels, et à sa cuisine aiguisée par les inspirations nordiques. Mais qu’importe la déco pourvu qu’on ait l’adresse – l’une des plus vibrantes de ces dernières années en France. Et en prime, elle organise un salon de vins les pieds dans l’eau (l’inverse serait chelou). La classe ultime.
Coquillages et crus de l’année
Privée de salons et de crachoirs pendant de longs mois, la sommelière a profité des premières libertés concédées par le déconfinement pour réunir la fine fleur de ses vigneron(ne)s chéri(e)s. Et pas n’importe où : sur la plage du branchissime et génial hôtel Amour, en pleine promenade des Anglais, à Nice.
Le 24 mai dernier, une bonne quinzaine de vigneron(ne)s (Aurélien Lefort, Raphaël Monnier, Caroline Ledédenté, Anders Frederik Steen…) ont posé leurs stands sur les galets pour faire déguster leurs breuvages du moment. Time Out y était et a ramené une interview sur transat de la sommelière.
Tu as un parcours très international, qui t’a fait quitter le bercail assez vite pour aller mettre ton nez ailleurs. Pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu nous faire une bio express ?
Je suis Nantaise d’origine, formée au BP sommellerie de Béziers, le meilleur à mon avis. Après ça, je suis passée chez Kobe Desramaults, en Belgique, où j’ai appris la bière ; dans le resto deux étoiles d’André Chiang à Singapour, où je me suis initiée au kombucha ; à Copenhague chez Relæ, où j’ai découvert d’autres fermentations. Et enfin en Australie, où je me suis familiarisée avec les cocktails. Bref, j’ai exploré le boire-monde avant de poser mes quilles de vin nature sur la Côte d’Azur.
Tu as toujours bu du vin nature ? Ou as-tu commencé par les « Petites Récoltes » de chez Nicolas, comme nous quand on était étudiants fauchés ?
Non, moi, j’ai directement commencé par les vins nature car à mes débuts dans la restauration, à 15 ans, j’ai eu la chance d’avoir un premier chef sommelier (Thomas Noble, aujourd’hui au restaurant La Côte Saint-Jacques, ndlr) qui ne travaillait qu’avec des vins naturels. J’ai eu le privilège de boire des gros canons tout de suite ! Des Overnoy, des Courtois, des grands noms, sans pour autant bien savoir ce que je goûtais. Mais j’avais déjà l’intuition que c’était ce que je voulais faire : cette âme du vin naturel, cette fraîcheur, cette acidité, cette salinité me fascinaient.
C’est quoi le vin nature pour toi, en quelques mots ?
Une philosophie non interventionniste : le fait de laisser les raisins se développer, les jus fermenter, tout en limitant au maximum les interventions humaines, qu’elles soient mécaniques ou chimiques. Accompagner le raisin et pas le forcer. Et accepter ses défauts, savoir en jouer car tout est affaire d’équilibre et de proportion : par exemple, la volatile (une acidité du vin) peut égayer un jus un peu lourd, notamment dans le Sud. Bref : moins on apporte, mieux on se porte.
Dans ton resto Pure & V, comment amènes-tu tes clients récalcitrants au vin nat’ ? Tu as une technique pour convertir nos daron(ne)s ?
Il m’arrive d’avoir des clients revêches mais ils sont à peine 1 % ! Je les rassure en y allant doucement, en leur proposant une bouteille un peu plus consensuelle, d’un abord plus facile. Je ne commence jamais par la théorie, toujours par le goût : je les laisse déguster, apprécier – ou pas. Mais je n’utilise jamais le jargon de la sommellerie d’abord : à chacun de trouver dans un vin ce qu’il y cherche. Les vins naturels sont des vins libres aussi pour celui ou celle qui les déguste.
Dans ton établissement, tu formes de jeunes pousses prometteuses de la sommellerie du turfu. Des personnes qui sortent complètement des cases…
Oui, je forme des jeunes femmes qui ne sont pas prédestinées, socialement ni culturellement, à faire ce métier. Et ça me rend très fière. Je fais leur apprentissage à ma manière, assez simple, empirique : beaucoup de dégustations, elles goûtent le plus de vins possible pour affûter leur nez et leur palais. Au resto, je les laisse aussi assez libres : Ilea Bouhran et Emma Aurelio, mes deux jeunes pousses, peuvent proposer des accords mets-vins qui figureront à la carte du resto. Gardez ces deux noms en tête car elles risquent de faire parler d’elles dans la sommellerie de demain !
Tu as organisé un super salon sur la plage de l’hôtel Amour de Nice, fin mai. Il y a pire pour déconfiner, non ?
Clairement ! C’était une immense joie pour moi de réunir des ami(e)s, des passant(e)s et de célébrer le retour de la vie sociale, ensemble, après une période sombre. Ça faisait longtemps qu’on avait cette idée de salon en tête avec Emmanuel Delavenne, l’un des fondateurs de l’hôtel Amour (on s’adore !). Et puis un salon de vins sur la plage, c’est le must ! On réfléchit déjà à la prochaine édition, avec des vigneron(ne)s italien(nne)s aussi, cette fois-ci. Pour ça, j’ai demandé l’aide de mes copains du super resto Epiro, à Nice.
Tu aurais deux trois références de vins que tu kiffes en ce moment ? De ceux qui ont été exposés à ton salon ?
En ce moment, j’adore CR(I) de Catherine Dumora, un mélange de chardonnay, romorantin et pinot noir qui goûte la fraise des bois avec une belle tension. Une cuvée confidentielle de 600 bouteilles dont une bonne partie est à la cave de mon resto (clin d'œil). L’un de mes vignerons favoris, Raphaël Monnier, fait un canon extraordinaire depuis des années : sa cuvée Ratapoil, magnifique mixture de cépages oubliés du Jura aux noms romanesques : l’enfariné, le portugais bleu, le petit béclan…
Et si tu devais emmener une caisse de 12 sur une île déserte, ce serait des vins de qui ?
Ce serait des bouteilles d’Aurélien Lefort mais faut pas le dire (rire). Tout est bon chez lui, ce mec est un sorcier et ses bouteilles des ovnis (pour « objet vinicole non identifié », ndlr). J’ai mis du temps à avoir ses vins, ça fait des années que je vais le voir au moins deux fois par an en Auvergne. Mais je ne comprends toujours pas comment il fait pour sortir des jus comme ça…