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Programmation des lieux culturels : les femmes enfin au pouvoir

Depuis la sortie du Covid, plusieurs femmes ont été nommées à la direction artistique de lieux culturels importants de la capitale. Une série encourageante qui entraîne un changement d’état d’esprit dans les soirées parisiennes.

Rémi Morvan
Écrit par
Rémi Morvan
Journaliste, Time Out Paris
Boule Noire
© Ella Herme
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Le 20 février 2024, après deux ans à la tête de la programmation du club, Anaïs Condado, alias DJ Anaco, annonçait sur Instagram son départ de la Machine du Moulin Rouge et son remplacement par Lisa More, DJ/productrice clermontoise dont la cote ne cesse de monter depuis deux ans. Cette continuité féminine à la DA d’un des plus grands clubs de Paris est symptomatique d’un mouvement de fond. Alors qu’en 2018, une étude de la Fédération des lieux de musiques actuelles estimait à seulement 12 % le nombre de femmes programmatrices, une tripotée de lieux parisiens ont confié leurs clés à des femmes ces dernières années, de la Mécanique Ondulatoire à Virage en passant par la Boule Noire, la Flèche d’Or, la Station ou encore le méga-club Phantom ouvert à Bercy l’an passé, géré par Charlotte Lions. 

Bien sûr, l’histoire de la nuit parisienne a connu plusieurs directrices artistiques de renom (Fany Coral au Pulp, Rag, cheffe de l’escouade Barbi(e)turix ; Peggy Szkudlarek, tour à tour aux manettes du Glazart et de la Machine de 2012 à 2017…), mais force est de constater que dans les équipes des salles ou des clubs, les filles étaient souvent cantonnées « à la com ». C’est pourquoi cette série de nominations est notable.

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Qu’est-ce qui est à l’origine de cette tendance ? Si Lisa More y voit la continuité « de la bombe MeToo pour les femmes et les minorités de genre », Anaïs Condado insiste sur « l’impact du Covid, de ces moments de réflexion, le fait de comprendre que certaines choses n’étaient plus acceptables sur plein de sujets : la parité des affiches, plus inclusives, plus diversifiées. » « Et puis il y a l’émergence de nouveaux mouvements féministes intersectionnels », complète Laure Togola, programmatrice de la Boule Noire depuis septembre 2023 et co-rédactrice en chef du fanzine Au-delà du club. « On a compris qu’on devait avoir confiance en nous et les gens ont dû faire un effort. Ce double mécanisme a fait que les meufs ont postulé aux postes et ont été prises. » 

Un changement de point de vue

Une fois aux commandes, une de leurs priorités communes a été de faire en sorte que leurs lieux soient le plus safe et inclusif possible. « En France, la piste est encore trop un espace de drague dans l’imaginaire collectif », se désole Anaïs. « Et forcément, avoir des femmes, qui ont eu l’expérience d’un espace de fête invasif, à la tête d’une structure, permet de faire bien plus attention à leurs revendications » A la Machine, outre des chartes, des campagnes de sensibilisation et une signalétique bien visible, le personnel a été formé aux problématiques des violences sexuelles par des entités comme Consentis ou Réinventer la Nuit. On trouve ainsi des « référents safety » en capacité de recueillir les paroles de victimes à chaque soirée. Et note aux relous recalés à l’entrée : un système de remboursement des préventes a été mis en place. 

Un autre axe a été de féminiser des équipes encore trop masculines, en recrutant des femmes à tous les postes, tant dans les équipes de sécurité, d’accueil qu’à l’artistique.  Même ambition pour un aspect moins visible du public : l’environnement technique, composé à une extrême majorité d’hommes généralement bien installés dans leur bulle de filtres. « Souvent, j’arrive dans la salle, il y a 100 % de mecs, et ça arrive qu’on ne me calcule même pas, parce qu’ils ne savent pas que je suis la programmatrice », raconte Laure Togola. « En tant que DJ, combien de fois j’ai fait face à des techniciens qui viennent m’expliquer comment marche une table de mixage sur laquelle je joue après dix ans de pratique ou viennent toucher les gains en plein set », renchérit Lisa More. « Jamais ils ne paternaliseraient les hommes de cette manière. »

La Mécanique Ondulatoire
© La Mécanique Ondulatoire

Ce rééquilibrage se retrouve bien entendu dans la programmation, mais la parité est envisagée de différentes manières. A la Machine, Anaïs Condado raconte avoir « voulu rééquilibrer du point de vue des collectifs, en imposant des entités avec des femmes à leur tête (P3, La Créole) ». A la Boule Noire, Laure Togola a fait des statistiques avec l’ambition d’augmenter la part des femmes, tout en ayant conscience du biais de certaines variables comme les dates de location/coproduction. Pareil pour Michèle Santoyo à la Mécanique Ondulatoire - dont l'équipe tous postes confondus est majoritairement féminine, « même si je ne fais pas de quotas »

Outre la parité, ces directrices artistiques ont aussi en commun de prêter plus attention aux artistes issus de toutes les minorités et de pousser pour plus de mixité musicale, que ce soit le global dancefloor de la Machine ou l’éclectisme proposé par la Méca et la Boule Noire – même si c’est sans doute moins une histoire de genre que d’ouverture d’esprit. 

Un enjeu de pouvoir 

Vrai enjeu de la révolution sociétale en cours depuis MeToo, l’accès des femmes et des minorités aux postes à responsabilités doit devenir un processus pérenne pour nos interlocutrices. Et on voit déjà qu’avec des femmes à des postes de direction, les choses fonctionnent de manière plus collective, dans le sillage des plateformes de promotion des talents féminins comme She Said So, Connect’Her et d'ateliers guidés par Salut les Zikettes ou Doxa Esta, toutes soulignent aussi l’importance de l’entraide entre les femmes et les personnes issues de minorités. « C’est fou le pouvoir que ça donne pour développer des choses. Pas de concurrence, que de la force partagée », se réjouit Lisa More.

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« Des femmes, souvent plus jeunes que moi m’ont contactée quand j’étais au Zorba pour demander des conseils, pour des projets qu’elles avaient envie de mettre en place », se souvient Michèle Santoyo. « Ce sont des femmes qui me demandent, pas des hommes. Eux n’ont pas besoin de demander des conseils, ils ne se questionnent pas sur leur légitimité, ils font. » A la Machine, plus que de s’entraider, on se forme ! « On a mis en place un dispositif d’accompagnement en accueillant la P3 ou Louise de la Chatte en Feu », détaille Anaïs Condado. « On va leur apprendre le métier : comment faire du booking, gérer telle ou telle partie du business. Les structures, les lieux comme la Machine ont cette responsabilité d’accompagner. »

Pour changer les choses, il faut donc changer les responsables ? « Oui, le poste de programmation est un poste de domination car il est prescripteur de ce qui va être vu ou pas », répond Laure Togola, pour qui il y a clairement un enjeu de pouvoir. « C’est aussi un poste de domination économique, en décidant de donner des sous ou pas à certaines personnes. Le but, c’est aussi de faire de la programmation de manière féministe, en se demandant comment faire pour être ouvert à toutes les personnes, surtout celles qui sont plus minorisées que nous. »

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