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“J’ai plus envie d’une bonne blanquette que d’un crudo de lieu jaune au chou pointu”, soupire, coincé dans une oubliable adresse modeuse à “tapassiettes”, un critique gastronomique bien connu de nos services. Il semble qu’il ne soit pas le seul ! Car critiques (notamment ici) et amateurs de bonne chère se pressent au Bistrot des Tournelles, au Café du Coin, au Moulin à Vent, à la Grande Brasserie ou au Quincy… On y va autant pour l’atmosphère défiant les décennies que pour les plats classiques comme les looks de l’avenue de Saxe. Ces lieux représentent des histoires et des générations différentes mais portent une même philosophie : un retour vers un passé rassurant quand le présent se montre trop anxiogène.
Le passé a de l’avenir
Face à l’inflation, à l’incertitude politique et aux lundis pluvieux, la réassurance d’un univers familier, pas rance de préférence, semble avoir la cote. “Il y a un retour au tradi sans tomber dans le côté conservateur du c’était-mieux-avant”, estime Adrien Spanu, jeune taulier de la Grande Brasserie Bastille. Le néo-rétro, ce serait quoi ? Un retour à des plats qui se jouent des modes, et à des codes empruntés à un passé plus ou moins fantasmé : nombreux sont les tauliers qui se réfèrent aux films de Pagnol et au Gabin du Singe en hiver, images d’Epinal du comptoir à l’ancienne. “Le retour au classique, c’est pas réac du tout”, nuance Thomas Brachet des Arlots. “Le bistrot, ça a toujours été un lieu pluriculturel qui mélange les générations !”
Même les nouvelles adresses s’y mettent. Au Cornichon, ouvert au printemps dans le 11e, on reprend à fond les codes du café-resto-PMU du coin avec œufs durs sur le comptoir, borne de loto et plats aux intitulés de cantoche. “Au Cornichon, c’est un décor de ciné ! On surjoue la nappe en papier, le flipper et les verres Duralex… On se croirait dans Hélène et les garçons”, tacle la journaliste Estérelle Payany. En tout cas, les moins de 30 ans s’y pressent !
Food sentimentale
Chez la gen Z, le classique n’a pas le même goût que chez les quadras. Ces derniers fantasment pâté-croûte, pithiviers ou vol-au-vent, quand les trentenaires admettent que leur madeleine serait plutôt un cordon bleu-coquillettes. Des envies d’assiettes nostalgiques que les néo-brasseries ont bien cernées : “Avec mes amies, on adore la Brasserie Rosie. On est des zoulettes de 25 ans, c’est chouette de fêter notre anniversaire autour d’une saucisse-purée”, explique Constance Lasserre, alias @hungryconsti. Co-créatrice de Groot, la cheffe Albane Auvray, 25 ans, défend sa version rajeunie de la tourte : “C’est tellement réconfortant et technique et ça revient vachement à la mode ! Mais pas façon gastro avec l’insert pigeon-foie gras qui coûte une blinde. On doit pouvoir croquer dedans comme dans un burger.”
Au Bistrot des Tournelles aussi, Edouard Vermynck assume le classicisme : “On s’est adaptés aux codes actuels : il y a une lumière tamisée, les codes bistrot au goût du jour, la cuisine est 100 % classique, mon associé est fils de boucher-charcutier, il n’y a pas de twist.” Aux Arlots, Thomas Brachet est plus souple : “Tu peux faire un pithiviers de canard et un concombre au labneh, tant que c’est fait avec sincérité !”
Le néo-rétro, ça pourrait être aussi les “classiques” végans d’Alice Tuyet. “Son resto Faubourg Daimant, c’est des codes bourgeois avec des marqueurs tradis, mais en trompe-l'œil !”, résume Benjamin Berline, journaliste gastronomique et grand amateur de bistrots.
Par le menu
Une chose est sûre, les “petites assiettes à partager (ou pas)” fatiguent tout le monde. Chez Erso, nouveau venu du secteur Saint-Ambroise, le retour à un menu traditionnel rassure la clientèle. En salle, Marine Bert le voit bien : “On voulait revenir à l’entrée-plat-dessert, qui avait un peu disparu dans le 11e… Les clients sont soulagés de ne pas forcément partager d’assiettes le soir !” Le bon vieux menu “à la russe”, un doudou ? “Choisir le menu est rassurant en temps de crise, tu n’as pas toujours envie de faire exploser l’addition avec des petites assiettes”, note Benjamin Berline. Les nouveaux venus s’emparent même d’un bel oublié : le semainier, qui n’a jamais cessé d’exister au Balzar ou Chez René, des lieux réglés comme des métronomes dont on finit par apprécier la constance rituelle.
La bonne nouvelle, c’est que l’intérêt pour le rétro agit aussi comme un élixir de jouvence chez ces lieux emblématiques : rénovation respectueuse, sourcing des produits (autrefois aux abonnés absents), retour du service au guéridon… Les vétérans comme le Duc ou le Bistrot de Paris retrouvent des couleurs et des chalands, car en plus de l’atmosphère en or, on y mange sacrément bien ! “Dans les institutions, il y a aussi une jeune génération qui s’empare de ces codes”, explique Benjamin Berline. Qu’on se le dise, derrière la porte vermoulue des taules d’antan, la bectance est rétro bonne !