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Elle fait rentrer la haute couture à l'église. Détentrice de la désormais célèbre carte blanche de Noël de la paroisse Saint-Eustache, la designeuse française Clara Daguin expose sa version de la Nativité : futuriste, scintillante et super bien sapée. On a rencontré cette créatrice 2.0 qui a grandi aux Etats-Unis et qui bouscule les frontières entre mode, art et technologie.
D’où vous vient cette idée de mixer mode et technologie ?
J’ai commencé à toucher un peu à l’électronique quand je faisais un master en design vêtements aux Arts décoratifs, notamment grâce à un workshop avec le MIT et à un cours qui s’appelait “Atelier objets communicants”. Et je suis devenue un peu obsédée par ça ! J’ai commencé à vouloir intégrer de la lumière dans les vêtements, et ça ne m’a pas lâché.
A quel moment ça a décollé pour vous ?
En 2016, j’ai été finaliste du Festival d’Hyères et ça a été un vrai tremplin. Je pense que l’époque a joué, car en 2017, il y a eu une grande mouvance de la “wearable tech”, et beaucoup de gens se sont intéressés à mon travail, j’ai été invitée dans plein d’endroits à l’international pour le présenter. Les choses se sont un peu enchaînées après ça : en 2018, j’ai eu une grosse expo au salon du textile Première Vision, et en 2019, j’ai présenté ma première pièce pendant la semaine de la haute couture. Et depuis, j’essaie de présenter une fois par an, pendant cette même semaine, une collection ou une œuvre.
Comment faites-vous cohabiter ces deux mondes qui semblent opposés, la mode, qui vient de l’artisanat, et la tech ?
Pour moi, l’utilisation de la lumière n’est pas très différente de celle d’un fil ou d’une perle. On fait tout à la main, donc la manière d'intégrer la technologie à mon travail est au final très artisanale. Je développe tous les circuits moi-même et tout est intégré manuellement, souvent par le biais de la broderie. Ça cohabite assez naturellement ! Le seul truc, c’est que l'électronique est un matériau dur, alors que le textile est souple. On est souvent confrontés à des dysfonctionnements. On fait donc plein de tests ! (Rire.) Il y a eu plein de casse, j’ai beaucoup beaucoup expérimenté, mais à force de pratique, ça a fini par fonctionner !
Comment vous êtes-vous retrouvée à l’église Saint-Eustache, qui invite depuis des années des artistes contemporains à investir sa nef pour y installer leur représentation de la Nativité ?
J’ai vu passer l’appel à projets, et ça m’a tout de suite parlé. J’aime le côté spirituel de la lumière, ce que ça évoque quand on voit quelque chose scintiller. Et puis l’iconographie religieuse m’inspire énormément. Donc j’ai postulé et j’ai été sélectionnée parmi les huit projets à passer devant le jury. On a commencé à produire la pièce en septembre, et ça y est, elle est installée !
Avez-vous eu une approche religieuse sur cette création ?
Je n’ai pas voulu faire quelque chose d’abstrait, mais prendre le thème de la Nativité au pied de la lettre. Mais ça ne veut pas dire que mon travail est religieux ! Je pars des figures de Marie, Joseph et Jésus, mais tout le reste, c’est fait à ma manière, comme j'aurais pensé n’importe quel autre projet. Je trouvais sympa de garder le côté un peu crèche, là où d'autres avant moi ont pris le parti de faire quelque chose de plus conceptuel.
Votre installation, Astre, est sans doute la plus fashion de toutes les scènes de Nativité de Saint-Eustache.
Ce qui est intéressant, c’est que l'église de Saint-Eustache est située à proximité du quartier du Sentier, haut lieu de la mode à Paris. C’est aussi une église qui est connue pour ses nombreux concerts, donc c’était important pour moi de créer une œuvre qui réagisse au son. J’ai imaginé un grand ciel étoilé (composé de 12 panneaux, qui représentent chacun une constellation astrologique) et d’une grande étoile de Bethléem au milieu. Quand il n’y a pas de bruit, les seules étoiles allumées sont celles des constellations. Mais quand il y a de la musique, tout le ciel s’illumine !
En bas de cette Voie lactée, on retrouve Marie, Joseph et l’Enfant Jésus à taille humaine qui portent des vêtements. Le bébé Jésus est emmailloté de rubans, c’est un petit clin d'œil aux représentations plus anciennes de la Nativité. Pour ça, j’ai collaboré avec la société Satab, spécialiste du textile étroit, qui fabrique des rubans avec des composants électroniques. Ces rubans sont intégrés dans les vêtements présentés ici, qui, eux aussi, réagissent au son ! J’ai travaillé avec un ingénieur, Jonathan Tanant, qui a codé toute la pièce et a permis à l’ensemble de réagir de façon spécifique à la moindre mélodie.
On a vu vos modèles portés par Burna Boy à Paris, Björk lors du dernier Coachella ou encore Léna Situations dans une vidéo pour Vogue. Etait-ce très différent de travailler avec Saint-Eustache sur ce genre de créations, qui doivent raconter une histoire sans mouvement ?
Je n’ai pas pensé ces vêtements différemment de d’autres projets tout simplement parce que j’aimerais qu’ils soient portés un jour ! Là, ils sont statiques, mais je pense déjà à une vidéo et des photos avec une crèche “vivante”. Il faut que je trouve un bébé pour ça d’ailleurs… (Rire.) Dès la conception, j’ai tout de suite pensé à l’après, aux vêtements portés sur scène ou à d’autres occasions. Ça n'a jamais été qu’une œuvre muséale.