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On passera sur l’indélicatesse qu’a le Festival d’Automne à toujours débarquer dans nos vies avant le premier jour d’automne (laissez-nous l’été indien !). Reste que l’événement dédié aux arts vivants est l’un de ceux qui nous réconcilient chaque année avec la rentrée, fût-elle vécue en tongs ou en polaire. Cette fois, on le pardonnera, puisque c’est sur une plage de sable fin, où se joue un drôle d’opéra, que démarrent les festivités. En plongeant plus avant dans la foisonnante programmation du festival, mêlant danse, théâtre et performance dans mille et un lieux parisiens, l’avancée vers l’hiver finit même par s’envisager avec un brin d’entrain. Ne sélectionner que six pièces fut un exercice compliqué, mais on a grand hâte de vous y retrouver !
Avant la terreur, de Vincent Macaigne
Dans un SMS aux Cahiers du cinéma, Vincent Macaigne écrivait en 2013 : “Il va falloir apprendre à se salir.” Quelques mois plus tard, il présentait son stupéfiant Idiot ! au théâtre de la Ville, suivant son précepte à la lettre. Bains de boue et bains de sang, hurlements… Il y a quelque chose de pourri au royaume du metteur en scène ; quelque chose de presque baroque dans ce geste du chaos, qui avait trouvé un beau terrain de jeu dans l'œuvre de Shakespeare avec Hamlet, qu’il adaptait très librement pour son premier spectacle en 2011. Dix ans après son SMS aux Cahiers, et six après sa dernière mise en scène, Macaigne rempile avec une adaptation de Richard III. On s’attend donc à du sale.
Du 5 au 15 octobre à la MC93, puis en juin au théâtre de la Colline
The Confessions, d’Alexander Zeldin
Chez Alexander Zeldin, l’esthétique soignée, un geste de pure délicatesse dans la forme, s’allie naturellement à une forme d’éthique du care (cette philosophie de la sollicitude) dans le propos. L’intime est choyé, et ausculté dans toutes ses profondeurs. Après avoir sondé la vie en Ehpad dans Une Mort dans la famille, le dramaturge britannique revient avec The Confessions, présentée cet été au Festival d’Avignon, dans lequel il rejoue l’histoire de sa mère. Un portrait de femme à travers les âges, enchevêtré dans un portrait de famille puissant, mais surtout une folle histoire d’émancipation. Sur scène, et jusque dans les gradins, la vie passe et infuse dans un effet de réel confondant. On a vécu ce qu’on a vu, un battement de cœur après l’autre.
Du 29 septembre au 14 octobre au théâtre de l’Odéon
Maggie the Cat, de Trajal Harrell
Dans la cour d’honneur du palais des Papes, Trajal Harrell n’a pas plu à tout le monde avec son Roméo, en clôture du Festival d’Avignon 2023. On n’a pas détesté la pièce mais on vous recommande plutôt d’aller voir Maggie the Cat (vue au Kunstenfestivaldesarts de Bruxelles en mai dernier) pour faire un premier pas dans son univers, puisque le Festival d’Automne lui consacre cette année un portrait. Ça ressemble à un défilé de mode dans une salle de bains, ou à un spectacle de fin de vacances entre cousins, porté par une troupe de danseurs flamboyants, perchés sur les petits coussinets de leurs pointes de pied. Une chatte sur le toit brûlant de la scène ballroom, qui fait fi de tout apparat pour embrasser une folle liberté. On en ressort vivifié.
Du 14 au 16 décembre à la Grande Halle de la Villette
ANGELA [a strange loop], de Susanne Kennedy
Coqueluche de la scène théâtrale berlinoise, Susanne Kennedy fait une entrée en fanfare sur les planches parisiennes avec deux spectacles au Festival d’Automne – après avoir fait complètement tripper la critique à Avignon cet été. Dans la scénographie hallucinogène d’ANGELA [a strange loop], elle expose le quotidien d’une influenceuse en proie à une étrange maladie. On est tout de suite contaminé par l’effet d’irréalité qui préside à la mise en scène, comme si notre perception était tout à coup totalement détraquée. Une forme d’emprise contre laquelle il ne faut surtout pas lutter, pour vivre ce spectacle comme une expérience proche d’une immersion en réalité virtuelle. De quoi nous donner très envie de voir son second spectacle programmé, une adaptation du mythique opéra Einstein on the Beach de Bob Wilson et Philip Glass (déjà complet).
Du 8 au 17 novembre aux Ateliers Berthier - Théâtre de l’Odéon
L’Homme rare, de Nadia Beugré
Des culs, des culs, des culs. Dans cette chorégraphie presque entièrement dansée dos au public, cinq hommes, souvent nus, font onduler et vibrer leurs “jolies petites fesses”. Comme un pied de nez aux images stéréotypées de la masculinité, ils enchaînent des mouvements encore souvent considérés comme féminins, du twerk à la simple chaloupée. Mais cette avalanche quasi voyeuriste de postérieurs, portée par une majorité de danseurs noirs, met aussi le spectateur occidental face à l’habitus de l’exotisation des corps. Y a de la joie, surtout, dans ce spectacle créé par la chorégraphe franco-ivoirienne Nadia Beugré, qui s’ouvre sur un morceau de reggae entraînant de Gainsbourg. Et c’est dans une éclatante liberté que s’expriment ces cinq danseurs, dès les premières minutes et tout au long de la pièce.
Du 4 au 6 octobre à la Briqueterie, le 23 janvier au théâtre de Châtillon
Sun & Sea, de Rugilė Barzdžiukaitė, Vaiva Grainytė et Lina Lapelytė
Présenté en ouverture du festival, cet opéra événement (Lion d’Or à la Biennale de Venise en 2019) est l’un des gestes artistiques les plus attendus de la rentrée culturelle. La scène, une plage de sable fin, est en contrebas – dans un trou. Le dispositif, rarement expérimenté au théâtre, met le spectateur en position de surplomb par rapport aux acteurs-chanteurs qui s’offrent à lui dans toute leur horizontalité, allongés sur des transats et serviettes. Qu’est-ce que ça raconte ? Le tout et le rien, l’été et l’ennui, la fin d’une bouteille d’eau ou l’importance de la crème solaire, tout ça dans une fatigue gouvernée par le dérèglement climatique… Mais comme chacun sait, la vie, c’est plus marrant en chantant ; et ce drôle d’opéra ne saurait basculer tout à fait dans le drame. De quoi s’offrir une bonne transition vers la rentrée.
Du 15 au 17 septembre à la Grande Halle de la Villette