Actualités

Dix ans après les premières résidences, y a-t-il (encore) un chef dans le restaurant ?

On n’en aurait pas un peu marre de la frénésie des pop-up ? Et si les cuisiniers avaient envie de revenir dans leur resto ?

Antoine Besse
Écrit par
Antoine Besse
Journallste
Chef dans une serre
© DR | Thomas Graham
Publicité

On parle souvent des adresses qui ouvrent, moins de celles qui cessent de servir. Il y a pourtant des fermetures plus lourdes de sens que d’autres. Comme Fulgurances, le restaurant sans chef ouvert en 2015 par Sophie Cornibert, Hugo Hivernat et Rebecca Asthalter, qui s’apprête à être vendu. « Pendant dix ans, on a accompagné le mouvement d’affirmation des chef(fe)s, mais là, on est arrivés au bout d’un cycle, il y a trop de résidences partout, cela devient moins stimulant pour nous », explique, résignée, Sophie Cornibert.

Sophie Cornibert et Rebecca Asthalter
© Victoire TerradeSophie Cornibert et Rebecca Asthalter

Fulgurances avait été la première adresse en France à offrir une résidence de plusieurs mois à des cuisiniers et cuisinières sans restaurant, à l’image des résidences d’artistes, initiant cette tendance des pop-up qu’on retrouve aujourd’hui partout. De nombreuses adresses ont photocopié le principe (Early June, les Œillets, Touki Bouki, Bonhomie…), qui permet d’annoncer sans cesse des nouveautés et donc d’exister sur les réseaux.

Pour Auriane Roussel, attachée de presse et agente de chef(fe), « les résidences ont montré qu’une identité culinaire forte ne dépendait pas d’une adresse en dur. Cela fait désormais partie du modèle économique de la restauration. Cela permet d’affirmer ses choix, gastronomiques ou sociétaux (en allant par exemple cuisiner pour une asso), et de se faire connaître. Aujourd’hui, je ne connais pas de jeunes chef(fe)s qui ne jouent pas le jeu de la résidence. » Effectivement, comme les musiciens qui font des featurings, les cuisiniers papillonnent de résidence en résidence, et autant la nouvelle génération (Alexis Bijaoui, Chloé Charles, Marie Victorine Manoa) que la vieille garde (Sébastien Bras qui déboulait chez Pascal Barbot l’automne dernier).

Liberté, je cuisine ton nom

Thomas Graham expérimente depuis un an cette vie de chef volant. « Je suis parti du Mermoz car j’allais devenir papa et je voulais avoir du temps pour être avec mon bébé. Chef volant, c’est un autre rythme. Sans la contrainte des deux services par jour, tu peux contrôler ton emploi du temps. C’est chouette. Moi qui avais toujours travaillé en restaurant, ça a complètement changé ma vision de la cuisine, et j’ai beaucoup aimé cette nouvelle liberté. » Justine Pruvot est, elle, restée un an dans son restaurant Mercato à Marseille avant que l’envie de reprendre sa liberté ne la démange : « Je tournais en rond, j’ai eu envie de redevenir indé pour me confronter à d’autres manières de cuisiner, de retrouver une liberté de création, de rencontrer de nouveaux publics et de saisir de nouvelles opportunités. »

Justine Pruvot
© Waylon BoneJustine Pruvot à Athènes

Rester coincé six jours sur sept du matin au soir dans son restaurant ne fait plus rêver autant qu’avant. Le moment charnière ? La coupure du Covid, qui a montré aux cuisiniers qu’une vie plus cool était possible. La résidence, c’est moins d’engagement, moins de stress, moins de risques. 

Pop-up blues

Évidemment tout n’est pas rose dans le monde du pop-up. Sophie Cornibert se montre par exemple assez critique sur l’évolution que cette tendance du saute-cuisine a provoqué : « Avec la généralisation des résidences, tout le monde devient chef, il suffit de mettre un tablier et de servir un plat de pâtes dans un restaurant… Chez Fulgurances, nos résidents avaient tous 15 ans de cuisine derrière eux ! » Le glamour d’un name dropping peut parfois l’emporter sur la qualité de la cuisine lors d’une résidence. 

Et pour les clients, il peut devenir compliqué de s’y retrouver. Que va-t-on manger exactement dans cette adresse ? Comment retrouver ce plat marquant que ce chef avait proposé lors d’un pop-up précédent ? « En France, au contraire du Japon, on ne cherche plus à être reconnu pour un plat signature qu’on passerait notre vie à perfectionner », analyse Justine Pruvot, qui a commencé par travailler les légumes avant de s’ouvrir aux protéines animales lors d’une résidence en Grèce. Et c’est aussi parfois l’occasion de goûter de la cuisine étoilée à moindres frais, comme quand Manon Fleury de chez Datil vient cuisiner des bols à 15 € au Mary Celeste.

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par Datil (@datil.restaurant)

Le ragoût des autres

Autre bémol, la liberté bohème des résidences ne permet pas toujours de gagner sa vie. La solution ? Cuisiner pour des familles aisées en tant que chef(fe) privé(e). « On a une liberté totale, un budget illimité et on cuisine pour une douzaine de convives au maximum », raconte Justine Pruvot. « C’est le plus rémunérateur mais il faut supporter les contraintes, notamment d’être parfois traité comme du mobilier ! » Si les pop-up les plus cool se trouvent grâce aux agents, les postes de chef(fe) privé(e) se passent plutôt par le bouche-à-oreille ou les agences de personnel de maison. « J’ai beaucoup travaillé comme chef privé pour une famille toute la semaine entre batch cooking et dîner plus business », se souvient Thomas Graham. « Si ça reste une clientèle exigeante, ils veulent avant tout de la simplicité, et on travaille avec du matériel non pro. Ce n’est donc pas dans le quotidien de chef privé qu’on est poussé vers la haute gastronomie. »

Le bon vieux restaurant fixe, malgré la routine qui lui est attachée, garde tout de même un fort pouvoir de séduction « Les chef(fe)s sont avant tout des entrepreneurs, donc rien n’est plus fort que d’ouvrir son lieu à soi. Cela représente un aboutissement, une revanche, de travailler pour soi. Quasiment tous les chef(fe)s passé(e)s par Fulgurance ont ouvert leur resto », explique Sophie Cornibert. Le chef volant Thomas Graham ne dit pas autre chose : « Ce qui me manque, c’est l’équipe et la créativité qui va avec, ces moments où l’on cherche tous ensemble à améliorer les plats. J’aime faire de la pédagogie avec l’équipe en cuisine, être un passeur de savoir. » Du coup, le chef compte se poser quelque part en septembre ou octobre prochains à Paris… mais sans forcément arrêter les pop-up !

À la une
    Publicité