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Paris est une fête, disait Hemingway. Mais ces derniers temps, Paris est surtout une terrasse géante. Bruissante de conversations, d’éclats de rire, de vie. Recouvrant tout, débordant sur la rue, réinvestissant l’espace public. Le 2 juin dernier signait la réouverture tant attendue des terrasses parisiennes, autorisées par arrêté exceptionnel à s’étendre au-delà de leurs frontières habituelles, jusqu’en septembre. Les places habituellement réservées aux voitures ont disparu sous les mètres carrés de bois brut. Chacun y est allé de sa petite astuce, souvent avec les moyens du bord, recyclant ici des palettes de livraison (Chez Val, 18e), designant là, sur mesure, une terrasse du turfu (Chez Michel, 19e). A la conquête de la rue, les terrasses ont terrassé Paris, coulant sur l’asphalte, sur ces mois d’angoisse, recouvrant la peur, l’ennui et la solitude. C’est comme si, d’un coup, dans ces coupes en terrasse brandies d’un geste triomphant – tchin ! – battait le cœur de la ville, à l’unisson. Fluctuat nec mergitur, comme dit la devise. Bref, avec notre photographe Guillaume Blot (Hans Lucas), on a bourlingué dans les rues à la rencontre des Parisiennes et Parisiens.
Propos recueillis par Tina Meyer. Photos de Guillaume Blot pour Time Out
Les Bancs publics, 19e. Paul, 32 ans, serveur.
« Depuis le 2 juin, on a deux terrasses, séparées par une route. La difficulté, ce sont les voitures. En tant que serveur, quand tu es dans le jus, tu n’as pas toujours le réflexe de regarder à gauche ou à droite. Du coup, je laisse celle au bord de l’eau en mode service autonome : les clients commandent direct au bar ! C’est à la coule. »
Le Bar Ourcq, 19e. Marion, 29 ans, illustratrice (sur Insta : @louise.aloupic)
« Je viens au moins une fois par semaine. Je ne bois plus d’alcool depuis un an mais leur carte de softs est super. Leur jus de gingembre coûte 3 € et c’est juste le meilleur de Paris ! »
Aux Folies, 19e. Momo, figure du quartier, vendeur ambulant
« Je passe en terrasse vendre mes cacahuètes. Je suis arrivé du Sénégal, ça fait plus de vingt-cinq ans maintenant. Eux (désignant un groupe de jeunes trentenaires, ndlr), je les ai connus hauts comme ça ! Le sachet de maïs grillé, c’est 2 €, les cacahuètes entières 1 €, celles décortiquées 2 €. »
Lao et Ama Siam, 19e. De gauche à droite : Eloïse, 29 ans, et Alexis, 30 ans, dans la restauration à Lille. Charlotte, 31 ans, restauratrice à Nantes, nous parle :
« Je suis venue pour un long week-end, mais je me sens déjà en vacances. Les tabourets colorés, les parasols… Et surtout, quel bien fou d’entendre de nouveau le bruit des conversations, les rires ! »
Combat, 19e. Spoon, 3 ans, chienne sauvée grâce à l’asso francilienne Sauvade
« Ouaf, c’est waouf cette terrasse, quel kif. Même si je ne suis pas encore super-rassurée de ne pas porter de masque comme vous, les humains. Faut rester prudent quand même. Mon maître est sympa mais un peu schizo. Elle me parle toujours en anglais sous prétexte qu’elle est bilingue. Ouaf ! Mais moi, je viens de l’île de La Réunion, kréol langaz mon péi ! »
Le Syndicat, 10e. Sara Moudoulaud, barman, finaliste France Bacardi Legacy
« Normalement, on était un bar caché. Mais le fait d’avoir installé cette grande terrasse, et changé le nom en Super Sy (leur pop-up estival : cocktails et glaces maison avec ou sans alcool, ndlr) fait qu’on a suscité la curiosité des passants. On est devenus hypervisibles. Résultat, c’est super, on a gagné un autre type de public ! »
Le Château d’Eau, 10e. A gauche, Jérôme, 32 ans, technicien de laboratoire.
« C’est la première fois qu’on vient. Ce n’est même pas parce que les bières ne sont pas chères ! Mais parce qu’un pote avait une répète au Studio Bleu à côté ». A droite, Alexis, 33 ans, « A côté de mon taf dans le marketing, j’ai lancé un groupe indé de dub, ITAL ad. Le disque que je viens juste de sortir est né pendant le confinement. »
Deviant, 10e. David, distributeur de mezcal (@mezcalbrothers) et Luca, food entrepreneur (@we.are.ona), 30 ans.
« On est là car c’est le premier soir de réouverture de Pierre [Touitou]. On vient pour soutenir les amis. On bosse aussi dans la restauration, on sait combien c’est important. »
Aux Deux Amis et Super, 11e. A gauche, Sok, 32 ans, chef. A droite, David, 51 ans, taulier des deux établissements.
« On est passé de huit couverts à 60. Le fait de réunir les deux établissements avec cette grande terrasse commune a été salvateur. D’habitude, Aux Deux Amis, on est souvent au coude à coude. Là, c’est plutôt du table à table ! »
Chambre Noire, 11e. Théo, 28 ans, Label manager chez Bigwax Records (@bigwaxrecords), et Roxane, 32 ans, future naturopathe.
Théo : « J’y vais parce que cette terrasse est éphémère et que c’est un pop-up restaurant. En ce moment, c’est un chef japonais. J’ai adoré le tonkatsu mayo, à base de cuisse désossée de poulet fermier. Je suis fou de musique, et je verrais bien, tiens, en pairing, un morceau de Haruomi Hosono, l’ancien du Yellow Magic Orchestra (fameux groupe de synthpop japonais, ndlr). »