Actualités

Un siècle de lieux mythiques de la nuit LGBT à Paris

Antoine Besse
Écrit par
Antoine Besse
Journallste
Le Pulp
© Antoine Besse
Publicité

Le temps passe, la société se crispe ou se détend, mais la nuit demeure, encore et toujours, cet espace de liberté qui bouscule l’ordre de la journée. La nuit tombe et les minorités se lèvent, prennent la lumière et les commandes. Et dans cette parenthèse nocturne électrique, avant même que le mot n’existe, les queers représente le moteur de la fête, carburant à la liberté, au mélange et à l'ivresse. De la Belle Époque à hier soir, le “Gay Paree” leur doit tout. Retour en huit adresses marquantes sur l’histoire des nuits queers de la capitale.

1910 - Le Maurice’s Bar 

Pigalle en 1910
© DR

Moïse “Maurice” Zekri, un juif algérois, monte en 1906 au 23 rue Duperré le Maurice’s Bar (à ne pas confondre avec Maurice Barrès !). Alors que jusque-là, les “invertis” se mêlaient – sans problème – à la foule des bals ou des brasseries, le Maurice’s Bar s’affiche comme une des premières adresses ouvertement gays de Pigalle (avec le Palmyre lesbien voisin). Derrière les rideaux de ce petit caboulot papillonnent d’élégants dandys, des travestis… Bien que l’homosexualité ne soit plus un délit depuis 1792, le Maurice essuie quantité de descentes de police pour “outrage public à la pudeur”. Le bar ferme en 1909. La police française livre Moïse aux Nazis en 1941. Il est assassiné à Auschwitz en 1942.

1920 - La Petite Chaumière

Aujourd’hui, il ne reste rien de la maisonnette aux rideaux rouges postée à un jet de faux cils du funiculaire de Montmartre. Même la rue a changé de nom ! Pourtant, le 2 rue Berthe, tenu par un certain M. Marie, a marqué le Gay Paris comme le tout premier cabaret de travestis de la ville en 1921. Toute la hype de l’époque se pressait dans la salle basse de plafond pour assister au récital d’hommes habillés en Marlene Dietrich ou Cécile Sorel et s’encanailler aux afters plutôt relâchés. « On danse la fumée, on fume la musique, on boit d’une bouche à l’autre », écrivait André Gide, habitué de l’endroit. La Petite Chaumière ferme en 1939.

1930 - Le Magic City

Travestis anonymes. Bal du Magic City
© BNF/DRTravestis anonymes. Bal du Magic City

Au 180 de la rue de l’Université se dressait le Magic City, un parc d’attractions transformé en dancing après la Première Guerre mondiale, et devenu un lieu de rendez-vous du Paris queer jusqu’à sa fermeture sous pression de l’extrême droite en 1934. Il est resté célèbre pour ses bals du Mardi-Gras et la Mi-Carême qui, profitant des deux seules fois de l’année où il était permis de se déguiser (mais il était toujours interdit aux femmes de s’habiller en homme !), attiraient tous les « invertis » de Paris. Ceux-ci rivalisaient d’ingéniosité avec des déguisements exubérants de plumes, de dentelles, des strass… Après un défilé sur un « pont d’argent », un jury de stars de l’époque (Joséphine Baker, Mistinguett…) décernait trois prix aux costumes les plus originaux. Drag Race bien avant l’heure !

1950 - Le Fiacre

La vie nocturne parisienne se déplace vers Saint-Germain-des-Prés. A côté des caveaux de jazz (très hétéros), le Fiacre, au 4 rue du Cherche-Midi, s’impose pour une décennie comme le phare dans la nuit gay et va “inventer” une formule qui va durer des années. Au premier, le sobre restaurant (12 tables et 40 F le menu) attire le showbiz parisien - tiens Cardin !- tandis que le bar du rez-de-chaussée, plein comme un œuf, est un rendez-vous essentiellement gay. Le taulier, Louis Baruc, passé par Maxim’s et le Fouquet’s, est un malin qui profite des vedettes pour protéger son lieu de la fermeture – car il ne faut pas oublier que de 1949 jusqu’à la fin des années 1960, un arrêté préfectoral interdit de danser entre hommes en public…

1970 - Le Sept

Le Sept
DR

Après le succès du Pimm’s en 1964 au 3 rue Saint-Anne, Fabrice Emaer ouvre en 1968 le Sept, au 7 de la même rue. Un lieu minuscule, noir, miroir et néon aussi fascinant qu’impénétrable. Comme au Fiacre, le lieu superpose un restaurant chérot pour le gotha (Saint Laurent, Kenzo et Lagerfeld y ont leur rond de serviette) et un club où se mélangent beaux garçons et stars en vue sur les mix de Guy Cuevas. Avec le Sept, Fabrice Emaer fait du 2e arrondissement l’épicentre de la nuit gay de l’époque et préfigure un mélange des genres qui va faire le succès du Palace qu’il ouvre en 1978.

1980 - Le Village 

En 1978, le Marais est un quartier d’artisans périclitant à immeubles lépreux et rues désertées la nuit tombée. Joël Leroux, contrôleur de gestion qui s’ennuie, décide de changer de vie et achète avec un ami un vieux café, rue du Plâtre. Le Village, le premier bar gay du Marais, est né ! Contrairement aux établissements de la rue Saint-Anne hors de prix et très sélectifs, ce bar-là est sans judas, accessible et abordable, ouvert sur la rue. Le succès est tel que la foule (à moustache) déborde sur le trottoir. La vie gay s’affiche comme jamais et va changer le visage du quartier.

1990 - Le Boy

Anniversaire du Boy
© DR

En 1988, Philippe Fatien, entrepreneur noctambule passé par le Palace, ouvre au 6 rue Caumartin, dans les sous-sols de l’Olympia, sa version parisienne du Paradise Garage new-yorkais. Un club gay et hédoniste dédié à l’acid house et la new beat, tous nouveaux styles musicaux. Derrière la façade marbrée peinte par Emmanuelle Metz-Jacotot, extravagantes drag-queens, costauds moulés en Lycra ou modestes effacés  se retrouvent noyés sous la mousse (une nouveauté à l’époque) et les mix de Laurent Garnier ou David Guetta. Un précurseur de la culture rave qui a durablement marqué la nuit parisienne. Le club ferme en 1991 et Philippe Fatien part ouvrir le Queen, plus grand public.

2000 - Le Pulp

Dj Chloé
© Antoine Besse

Au tournant du millénaire, le petit club lesbien du boulevard Poissonnière ouvert par Michelle Cassaro et Sophie Lesné réussit l’exploit de reprendre le flambeau de la nuit hype aux gays. Une nouvelle garde de lesbiennes plus punks et revendicatives trouve dans ce club crado et bas de plafond un moyen de s’exprimer sur une bande-son techno et électroclash assez énervée et séduit toute une frange de branchés hétéros, qui avaient le droit d’entrer le mercredi et jeudi, les vendredi-samedi étant réservés aux filles. La belle histoire se termine en 2007 et l’équipe démarre une autre grande aventure LGBT parisienne, le Rosa Bonheur.



 

À la une

    Publicité