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Fleurs de panais ou d’hysope, branche de romarin, feuilles de sauge et de santoline… Amaury Bouhours, le chef trentenaire et surdoué du Meurice – deux étoiles sur le maillot – fait sa cueillette afin de rehausser ses assiettes estivales de haute volée. A-t-il été déposé en hélico dans quelque éden des alpages ? Pas du tout : il baguenaude à Saint-Denis, à deux pas du terminus de la ligne 13, au milieu d’un miraculeux hectare de bonne terre qui se permacultive entre l’avenue de Stalingrad, la grande mosquée Imam-Malik et un tas de barres d’immeubles. Bienvenue à Zone sensible – Ferme des cultures du monde, lancée par Olivier Darné, plasticien antiplastique, esthète du triptyque nature-culture-nourriture et infatigable défenseur des abeilles urbaines.
Cet artiste aussi dionysien qu’inclassable a remporté en 2016 l’appel d’offres lancé par la municipalité pour reprendre la dernière ferme aux portes de Paris, exploitée depuis trois générations par la famille Kersanté. Si perdre ce patrimoine maraîcher n’était pas envisageable, pas question pour autant de continuer la monoculture des salades qui partaient en camion aux six coins de l’Hexagone. « Ici, pas d’intrant chimique et pas d’extrant non plus puisqu’on récupère tous nos déchets », explique Olivier en se promenant au milieu des 120 espèces cultivées par Franck, le jardinier en chef. « Ça fait presque autant que les 140 nationalités présentes à Saint-Denis ! »
Ce potager ne se résume pas à une enclave barricadée pour chefs étoilés (le jardin fournit une douzaine de restaurants parisiens). Le samedi, il s’ouvre à tous. En se promenant dans les allées luxuriantes, les visiteurs croisent des courgettes jaunes, des framboises blanches mais aussi un drôle de mobile tournant, une expo photo ou des voix fantomatiques sortant de terre. Plus qu’un potager, Zone sensible se veut une expérience, à la fois loin de la ville et en plein cœur de l’urbain. Une exploration de solutions et de sensations pour une planète à qui l’on a mis la fièvre (pendant des ères).
« Manger est un acte politique »
Une partie de la récolte – les carottes, les oignons – est réservée aux cuisines des voisins. « Des jeunes du quartier ont mis pour la première fois les mains dans la terre ici et certains veulent devenir maraîchers », raconte Olivier en faisant passer des graines de nigelle au goût citronné. Olivier a plus d’idées qu’une ruche d’alvéoles. Il a monté le Parti poétique en 2004 pour fédérer ses agite-popotte avec ses complices artistes, poètes, penseurs. « Manger est un acte politique », martèle-t-il. Dès 2000, il a convaincu la mairie de lui laisser installer sur le toit de l’hôtel de ville des ruches qui produisent rapidement un miel d’exception, le miel béton.
Celui-ci collectionne les prix et séduit un jeune cuisinier avec pas mal de talent : Alain Ducasse. L’artiste et le chef multi-étoilé ne vont plus se quitter. La caution du second va aider le premier à récupérer la concession de Zone sensible. Olivier et Alain vont aussi s’allier pour créer ici une académie de cuisine populaire au cœur de la cité des Francs-Moisins. Il édite aussi un livre de recettes internationales concoctées dans les cuisines des familles de Saint-Denis (Récits-Recettes). Bref, pour goûter au Grand Paris, direction la Seine-Saint-Denis.
Quoi ? Zone sensible
Où ? 112, av de Stalingrad 93200 Saint-Denis
Pour en savoir plus.