De tous les fauvistes, Albert Marquet n’était « pas le plus rugissant » disait l’écrivain Georges Limbour. On pourrait ajouter que, de tous les post-impressionnistes, il n’était pas non plus le plus impressionnant. Mais qu’importe : les peintures d’Albert Marquet sont belles, délicates et elles interpellent. Faisant souvent partie des collections exposées sans faire l’objet d’une mise en avant particulière, elles se voient aujourd’hui consacrées (et jusqu’au 21 août) une monographie au musée d’Art moderne. Une centaine d’œuvres parfois inédites, peintures et dessins confondus, sont ainsi présentées à travers un parcours chrono-thématique. Une installation qui permet au visiteur d’admirer l’évolution artistique de celui qui s’imprégna de tous les courants sans jamais s'y ancrer vraiment.
Inclassable, voire un peu marginal, l’ami d’Henri Matisse s’est en effet forgé un style à l’image de ses voyages : hétéroclite et inspiré. Naturaliste sans faire de la nature son sujet unique – on croise toujours un badaud sur la rive ou un quidam au loin dans ses paysages –, Albert Marquet accroche son œil sur des détails insoupçonnés, comme la perle au ras-du-cou de ‘Nu sur le divan’. Avec rapidité, l’artiste synthétise les instants de vie de son époque et les saisit d’un jet unique. Bon ou mauvais, il ne reviendra jamais sur ses tableaux. Une honnêteté rare, preuve de sa modernité. Mais aussi de sa formidable singularité : celle de rendre charmants, voire touchants, des sujets aussi insignifiants qu’une ruelle brumeuse d’Arcueil ou un quai de déchargement dans le Port du Havre.
Alors certes, il n’existe pas une grande diversité dans ses compositions, aux lignes de fuite similaires, et certaines toiles presque monochromes (telles ‘La Varenne’ envahie de vert, ‘La Seine du Pont-Neuf’ aux nuances grisonnantes ou ‘Le Port d’Hambourg’ dépeint dans les teintes orangées) peuvent paraître monotones. De même qu’on pourrait s’insurger en constatant qu’Alger La Blanche resplendit moins que la petite commune de Samois. Mais il ne faudrait surtout pas omettre que, derrière ces couleurs affirmées et ces formes épaisses et diluées par une myopie esthétique, se dévoile un magicien capable de rendre vivant l’industriel. De donner un relief sensuel aux motifs les plus consensuels. Ainsi que de détourner l’élément eau pour mêler réalité et perception élégiaque dans le même tableau.
Au fil de cette exposition, on découvre également un Albert Marquet joueur, s’amusant à croquer ses contemporains en trois traits de crayon abstraits, vifs et quasi-primitifs. Des esquisses et des miniatures qui révèlent tout le talent du peintre. Quant à ceux qui oseraient encore affirmer que l’élève de Gustave Moreau était trop académique, les planches érotiques du peintre, tirées de ‘L’Académie des dames’, leur feront réviser leur jugement.