Rien ne prédestinait Josef, étudiant fauché, et Anni, issue des hautes sphères berlinoises, à tomber amoureux l’un de l’autre. Et pourtant, lors de leur rencontre à l’école du Bauhaus de Weimar en 1922, c’est le coup de foudre : passion commune pour l’abstraction, désir de maîtriser les savoir-faire artisanaux et positions politiques communes feront de ces deux-là le it-couple du design allemand – si bien qu’il n’y a aujourd’hui aucun sens à montrer leurs œuvres séparément, tant elles s’éclairent mutuellement.
Le musée d’Art moderne l’a bien compris et propose, grâce à un parcours chronologique et quelque 350 œuvres, de découvrir le taf monumental des Albers à travers le prisme de “l’art et la vie”. Car pour les plasticiens, pas question de concevoir l’art comme quelque chose d’extraordinaire. Pas de grandes démonstrations expressionnistes ni d’ego jeté sur la toile : leur pratique est discrète, mise au service du quotidien.
Cette sérénité, on la retrouve dans toute la déambulation imaginée par le musée, dont les murs blancs sont ornés de tapisseries minutieuses, de mobilier en bois astucieux, de verreries fantastiques et de toiles colorées. Tout ici n’est que pudeur, de la géométrie rigoureuse des formes à la douceur des tonalités choisies en passant par la modestie des matériaux exploités par les deux artistes. Mais ce qui est étonnant, c’est que malgré la radicalité des amoureux – l’un dans la peinture, l’autre dans le tissage notamment –, rien ne paraît austère. Comme si, grâce à la rigidité qui caractérise leurs travaux, le couple avait réussi à extraire l’essence du calme. De la poésie mathématique, on vous dit !
L’un des points forts de cette expo, déjà très réussie, réside dans les petites vitrines qu’on a parfois tendance à zapper. On y découvre tout un monde fantastique où se mêlent statuettes précolombiennes, photomontages ultra-léchés, pochettes de disques made in Josef ou encore bijoux fabriqués à partir de matériaux de récup. Tout aussi apaisantes que le reste de l’expo, ces pauses nous arrachent quelques sourires, nous faisant quitter le musée le cœur léger.