D’exposition en exposition, la Fondation ne cesse de nous étonner par la qualité de ses accrochages et le parti-pris innovant de leur sujet. Après avoir laissé le navire de Frank Gehry aux mains d’artistes contemporains comme Daniel Buren ou Olafur Eliasson, et après avoir remporté un succès d’estime rare avec la Collection Chtchoukine – plus d’1,2 milllion de visiteurs s’étant pressés pour voir les plus grands noms de la peinture rassemblés en un seul et même lieu –, la FLV nous embarque cette fois à la découverte du nouveau monde esthétique incarné par plusieurs générations d’artistes africains. Bien inspirés et totalement inspirants.
Un héritage sur quatre étages
Un conseil toutefois avant de commencer votre visite : ne pensez surtout pas que vous pourrez achever cette exposition sur un créneau horaire de soixante minutes, c’est parfaitement impossible. Autant dans sa quantité que dans sa qualité, ‘Art/Afrique’ mérite que l’on s’y attarde au moins plus de deux heures. Et si indigestion d’art il y a peut-être à la sortie, sachez que ce sera comme après un repas chez mamie, lorsque l’on a mangé trop copieux mais tellement bon qu’on est simplement béat de se sentir rassasié et au bord de l’implosion.
Il faut dire que notre festin artistique nous plâtre d’entrée avec une installation de Pascale Marthine Tayou, composée de cubes en granit s’enroulant autour d’un pilier en béton. Si ses nuances multicolores lui donnent un aspect léger, l’œuvre n’en demeure en effet pas moins lourde de sens, symbolisant le multiculturalisme et la mixité du berceau de l’humanité. Une idée qui vient subtilement se rappeler au fil du parcours dans la série photographique en noir et blanc ‘Hairstyles’ du regretté Okhai Ojeikere, touchante carte géo-capillaire de son Nigéria natal. Ou encore dans les peintures de Moké, capturant l’ambiance des festivités kinoises dans un style mi-naïf, mi-impressionniste, entre le Douanier Rousseau et Auguste Renoir.
Outre la belle diversité – sur le plan social comme artistique – de l’Afrique, c’est également son passé qui influence les créations de ses artistes. Les masques tribaux de Romuald Hazoumé, élaborés dans des objets de récup’ (bidons, aspirateurs désossés, etc.) ou ceux en pièces détachées de voitures de Calixte Dakpogan construisent une passerelle entre un autrefois sobre et animiste et un présent surconsommateur et plastique. Sans oublier les instabilités politiques et les inégalités sociétales qui transparaissent sans fards dans de nombreuses œuvres de ‘Art/Afrique’, en particulier les portraits de militants anti-apartheid peints par Thenjiwe Niki Nkosi. Le travail de Zanele Muholi interrogeant la place dépréciée de la femme dans des communautés patriarcales où les viols punitifs sont récurrents et souvent impunis. Ou encore la fatale fable en forme de dessin animé aux tracés compulsifs de David Koloane, mettant en parallèle l’oppression des noirs par les blancs et le sordide fait divers d’une femme dévorée par des chiens errants.
De la couleur à la douleur
Malgré ces sujets pénibles, pesants et parfois polémiques, les productions de ce « nouvel atelier », foisonnant d’expériences esthétiques et stylistiques, projettent un spectre de couleurs lumineuses sur les murs de la FLV. Des épineuses et énigmatiques histoires de John Goba aux toiles vives et saturées de Chéri Samba – déjà rencontrées au musée de l’immigration à l’automne dernier – en passant par les clichés spontanés de Seydou Keïta – dont la rétrospective au grand Palais fut l’une des meilleures expositions de 2016 –, on se sent transpercé d’une liesse sourde et savante, conscient des responsabilités d’un demain qui reste à bâtir raisonnablement tout en ayant l’espoir d’un horizon utopique, à l’image d'Athi-Path Ka Ruga et de ses tapisseries afro-futuristes. Toutefois, en ce qui concerne l’avenir de l’art africain et de l’art tout court, ce condensé de virtuosités venues de l’autre côté de la Méditerranée nous laisse serein pour la suite.