Corps tuméfiés, visages entaillés au ciseau, métaphore frénétique de la déchéance… Cauchemardesque, dites-vous ? À fond ! Qu’on se le dise : l’ambiance n’est pas à la teuf pailletée au Centre Pompidou. La faute à une centaine de toiles, sculptures, gravures et dessins de Georg Baselitz qui ont envahi ses murs jusqu’au 7 mars 2022, dans le cadre d’une rétrospective magistrale hantée par les horreurs du XXe siècle, et dont on ressort forcément secoué. À moins d’être un Nazgûl. Et encore.
Organisée chronologiquement, l’exposition retrace six décennies de création oscillant entre figuration expressionniste, abstraction colorée et empreinte conceptuelle. Avec des références persistantes, depuis les années 1960 jusqu’à 2005, à l’histoire troublée du siècle passé dont Baselitz a été le témoin en tant qu’enfant né dans l’Allemagne nazie en 1938, puis comme adolescent ayant grandi sous la férule autoritaire de la RDA. À coups de larges aplats cravachés sur la toile, celui qui avait été exclu de son école d’art pour manque de « maturité sociopolitique » ridiculise l’éloge stalinien du partisan, raille la symbolique des pouvoirs, rappelle les mutilations de guerre.
Tout ne serait donc que noire indignation dans cette exposition ? Pas tout à fait. Si la violence habite aussi bien le manifeste Pandémonium que les compositions fracturées, les fameuses toiles renversées (autoportraits, animaux, paysages… pivotés à 180°) et les sculptures mutilées, la fin de l’expo surprend par sa douceur. On respire, à nouveau.
C’est que, depuis 2014, l’artiste a délaissé le tumulte de l’histoire qui l’avait tant rongé pour se pencher vers l’intemporel. Le zen, presque. À travers la représentation de silhouettes évanescentes évoquant le couple que forme l’artiste avec son amour de toujours, Elke. Difficile de bouder notre plaisir ambiance peace & love devant cette note poétique venant clôturer un parcours dont l’objectif était d’offrir (enfin ?) à l’immense Baselitz une expo à la hauteur de son génie. Un pari réussi, tout plein.