A 17 ans, la plupart d’entre nous bachotaient des textes de Molière pour le bac de français. Mais pas Ruth Orkin. En 1939, elle délaisse ses bouquins pour une idée folle : partir de son Los Angeles natal direction l’Exposition universelle de New York… à vélo, avec juste 25 dollars et un appareil photo. Un bike trip qui deviendra la première série de cette future grande photographe de presse, que la Fondation Henri Cartier-Bresson résume en une quarantaine de clichés dans son espace voûté.
Deux grands murs jaunes peuplés de photos en noir et blanc se font face ; au fond, une carte ponctuée de coupures de journaux retrace le fabuleux parcours de cette féministe qui s’ignore encore. Mais Orkin était déjà parfaitement consciente de sa pratique. Loin des clichés de vacances maladroits, elle inscrit volontairement le cadre de sa bicyclette dans ses prises de vues, avec, probablement, l’idée naissante d’une série. Bien que très courte, l’exposition menée par le directeur Clément Chéroux offre une vue d’ensemble parfaitement contextualisée de ce voyage, en associant aux clichés bichromiques des documents d’archives, dont le journal de bord tenu par Ruth Orkin durant sa traversée.
Alors que les acteurs de la Beat Generation n’ont pas encore pris la route, la jeune Californienne pose déjà des questions sur l'émancipation, tout en insistant sur ce que Jack Kerouac et ses copains ne verront jamais : le courage qu’il faut à une femme pour voyager seule. Avec cette exposition, on réalise que c’est cette prise de conscience précoce qui nourrit ce qui deviendra la photo la plus célèbre de Ruth Orkin, American Girl in Italy (1951), dans laquelle une femme déambule au milieu d’une rue qui n’appartient qu’aux hommes, prouvant à la société des années 1950 que découvrir le monde n’est pas une question de genre.