Jusqu’au 6 juin, la sublime rotonde du Musée national des arts asiatiques se pare délicatement de rouge. Fil à fil, l’artiste Chiharu Shiota, détentrice cette année de la très convoitée Carte blanche de Guimet, tisse une immense toile autour d’un socle blanc sur lequel est disposé du tout petit mobilier. Mini-chaises, mini-canap’ et même mini-vaisselle se voient pris au piège dans une nasse presque inquiétante. L'œuvre n’a que faire des échelles, faisant des grands écarts entre création monumentale et art de la miniature.
L’artiste qui tire les ficelles conçoit son œuvre comme une métaphore de nos relations sociales, plutôt mises à mal par le Covid. Pour sa première expo française, Chiharu Shiota (qui a représenté le Japon en 2015 lors de la Biennale de Venise) revient sur l’anxiété qu’a provoqué chez elle le confinement grâce à un procédé digne de celui d’un arachnide, renfermant un foyer habituellement chaleureux dans un oppressant cocon. Prise au piège comme une mouche dans la toile d’une araignée, elle est alors devenue la triste habitante d’une maison de poupée, trop petite pour s’épanouir. La multitude de fils contribue aussi à symboliser la barrière tactile qui nous a été imposée depuis 2019 (coucou les masques), nous empêchant de saisir les petits objets qui y sont emprisonnés.
L'œuvre est aussi saisissante visuellement qu’intellectuellement, et l’on se plaît à scruter le moindre des artefacts un à un, les entrelacs de fils écarlates et le chemin qu’ils parcourent. On se laisse hypnotiser par les motifs et la multitude de détails de l'œuvre jusqu’à perdre la notion du temps, quitte à se soumettre à une lobotomie pas si inconfortable que ça. Un peu à la manière des multiples confinements qu’on a enchaînés, finalement. Un travail d’une poésie et d’une finesse rares.