Dans le fond, Chaïm Soutine ne brille pas par son originalité. Comme l'illustre le parcours linéaire, sans forfanterie, de L'Orangerie, les thèmes qu'il aborde restent profondément classiques : des portraits, des paysages, des natures mortes. D'ailleurs ses références sont tout aussi académiques. Très marqué par les collections du Louvre qu'il visite fréquemment à son arrivée à Paris dans les années 1910, le peintre trouve en Fouquet, Rembrandt, Ingres ou Courbet des modèles qui lui inspireront la composition de ses portraits. Pourtant, rien n'y fait : même un siècle plus tard, les œuvres de Soutine bouillonnent et dégagent une émotion torturée, ivre de mouvement et de couleurs.
Quand le Français d'origine russe esquisse les paysages de Céret, on les jurerait ravagés par un séisme. Déchirée, malaxée, la perspective se brouille dans un enchevêtrement d'arbres pliés comme des roseaux. Les villages explosent, les routes se perdent, le vent dévaste un panorama convulsif, mué en un amoncellement abstrait de formes et de couleurs que les impressionnantes couches de peinture rendent encore plus fiévreux. Quand il exécute des natures mortes, Chaïm Soutine esquisse des glaïeuls d'un rouge sanglant, des cadavres de lapins bleuis par la mort, des carcasses de bœufs écorchés, flamboiement obscène de chair et de sang tendu sur la toile. Et quand il s'attaque aux portraits, ses sujets paraissent difformes, bouillis. Leur visage grossier, caoutchouteux, bosselé, paraît en pleine déliquescence ; leurs mains tordues, arachnéennes, deviennent des excroissances monstrueuses au bout de bras démesurés. Ce sont leurs costumes élégants qui semblent les empêcher de s'effondrer, endiguant tant bien que mal la coulée des chairs, liquéfiées.
L'ami de Modigliani, Matisse ou Picasso doit peut-être son manque de notoriété à sa noirceur, ou à la difficulté qu'ont les historiens à lui coller une étiquette. Evidemment marqué par l'expressionnisme, l'inclassable Soutine rappelle par instants Van Gogh ou Schiele, préfigure l'abstraction, annonce Francis Bacon ou Lucian Freud. Mais au-delà des comparaisons, l'exposition de L'Orangerie revient à l'essentiel : l'œuvre. Une œuvre où beauté et laideur s’entrechoquent dans un élan dévastateur. Une œuvre traversée par une irrépressible énergie, que Soutine semble, dans un même geste, chercher à canaliser et libérer. Bref, une majestueuse collision entre l'ordre et le chaos.
Time Out dit
Infos
- Site Web de l'événement
- www.musee-orangerie.fr
- Adresse
- Prix
- Tous les jours sauf le mardi de 9h à 18h / De 5 à 7 €
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