Emblématique de l’Ecole de Paris, cette génération artistique clé du début du XXe siècle, la sculpture de Chana Orloff est le témoignage d’une époque, celle des Montparnos, ces artistes bohèmes du sud de Paris. Dans ce qui fut l’atelier du sculpteur cubiste Ossip Zadkine, on découvre une centaine d'œuvres en bois, en ciment ou en plâtre, burinées par la main d’Orloff. Orloff ? Une sculptrice précurseuse dans un monde de mecs aux mains calleuses, qui a renouvelé l’iconographie traditionnelle du corps féminin dans la sculpture, alors influencée par un male gaze omniprésent. Le tout sans jamais dissimuler sa féminité, en explorant des thèmes jusqu’alors peu (voire pas) représentés, tels que la maternité, qu’elle illustre avec une grande justesse.
Cette première grande expo monographique cristallise cette dualité, entre force et douceur, caractéristique du travail de l’artiste qui creuse dans la matière pour en dégager les formes les plus pures, ou, au contraire, les plus violentes. En faisant le portrait de ses amis et de célèbres Parigots, la sculptrice fige une époque, avec ses contradictions et ses failles. On zigzague entre les musiciens en transe, heureux, les oiseaux et autres sauterelles, fabuleux bestiaire d’Orloff hérité de la tradition hébraïque, et les visages désabusés des Parisiens traumatisés par la guerre.
Le parcours de l’exposition, conçue en partenariat avec les Ateliers-musée Chana Orloff et la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, se conclut de façon magistrale dans l’atelier du jardin par des œuvres créées à partir de 1945, après le pillage de son atelier et de tout son travail. Dernier volet de la carrière prolifique de la sculptrice, ces nouvelles créations s’inspirent de portraits de survivants du camp de Buchenwald et leur matérialité est, elle aussi, toute neuve. Fini les visages lisses et doux, place à une matière rugueuse, comme déchiquetée. La douleur laisse visiblement des traces.