L’histoire commence par un alignement des planètes : alors que la célèbre Galerie Borghèse de Rome s’apprête à retaper ses tentures, elle doit fermer temporairement ses portes à la horde de touristes qui se massent devant les grilles chaque jour. Ça tombe bien : à Paris, le musée Jacquemart-André, fraîchement rénové, cherche des trésors à exposer. Résultat : on tient probablement le crossover artistique de l’année.
Botticelli, Le Caravage, Véronèse ou Le Bernin ont donc fait le voyage jusqu’à Paris, eux qui ne quittent que très rarement les murs de la Ville Éternelle. Choisies avec soin par le cardinal Scipion Borghèse (1577-1633), neveu du pape Paul V, ces œuvres, cédées à l’État italien en 1902, comptent parmi les plus admirées au monde. Qu’une quarantaine d’entre elles se retrouvent ici, hors de leur écrin habituel, suffit à faire de cette exposition un événement. Pas besoin de s'attarder sur la qualité des pièces : elles sont toutes exceptionnelles. Du fameux Garçon avec un panier de fruits du Caravage (un des chouchous du cardinal) au buste du pape Grégoire XV du Bernin en passant par la légendaire Dame à la Licorne de Raphaël, c’est un plongeon au cœur de la Renaissance italienne que nous propose le musée Jacquemart-André.
L’autre intérêt de cette exposition, c’est son angle audacieux. Le parcours, didactique et complet, revient sur la personnalité sulfureuse de Scipion Borghèse, un esthète voyou qui n’hésitait pas à couvrir les crimes du Caravage ou détourner des fonds de l’Église pour s'emparer de la collection d’un rival. Si l’on se pâme devant la beauté des œuvres, celles-ci servent avant tout à illustrer une histoire de pouvoir et de possession à la romaine, avec un travail curatorial particulièrement anglé. Seul petit bémol : la scénographie ultra-kitsch, qui contraste avec le goût si raffiné du cardinal.