Voici une nouvelle qui pourrait vous faire revoir votre position quant à l’existence du père Noël : à Paris se tient une exposition rassemblant 44 photographes européens parmi les plus talentueux de leur génération, à découvrir au Centquatre pour pas un rond – en tout cas si vous vous contentez de la nef Curial et la halle Aubervilliers. Si vous souhaitez admirer les œuvres accrochées dans les ateliers, là, ce sera de 3 à 5 € l’entrée. Mais franchement, sachez que ce n’est vraiment pas cher payé pour se faire ainsi dorloter la rétine au festival Circulation(s), de retour pour la septième année consécutive.
Alors, on dorlote la rétine certes, mais ce n’est pas pour autant qu’on laisse notre cerveau s’engourdir. L’esthétique des clichés présentés a beau être léchée, réfléchie, pensée, elle s’avère souvent loin de constituer une finalité en soi. Parce que même bien calligraphié, un message vide de sens n’en demeure pas moins sans intérêt, les séries des artistes sélectionnés tentent toutes d’apporter leur pierre à l’édification d’une problématique ou d’une idée. Qu’il s’agisse de Zhen Shi abordant l’exil ou de Marie Moroni partageant sa rencontre muette avec les brodeuses d’un atelier marquées par le génocide rwandais, il transpire de ces albums déployés une pertinence qui interpelle et retient son regardeur.
Détourner, espionner et avertir
Trois grands axes semblent d’ailleurs articuler les choix des sujets – toujours immortalisés avec humour, humanité et poésie. On décèle donc un peu d’esprit bravache, une propension à pointer via l’objectif l’absurdité de certaines situations. Tel est le cas dans les œuvres de Corentin Fohlen retraçant le délitement chronologique d’un village haïtien, dont la reconstruction après le tremblement de terre de 2012 se voit plomber par la corruption et la désorganisation. Mais aussi dans le travail d’archives de Martin Errichiello et Filippo Menichetti, signalant la bêtise d’une autoroute décriée au milieu de la Calabre italienne. Dénoncer sans éclats de voix, se faire témoin et porte-parole, c’est également le but de Sanne de Wilde lorsqu’elle reproduit le monde selon la vision des daltoniens de l’île de Pingelap. De Sonja Hamad et sa série-hommage aux combattantes kurdes du Rojava. Ou de Mafalda Rakos donnant enfin une place aux femmes atteintes de troubles alimentaires et d’anorexie.
Le second axe serait une grande envie de détournement, un besoin de dérouter les codes et les images préconçus de nos sociétés. En guise d’exemple, on pourrait citer les collages de Ludovica Bastianini, découpant des mannequins dans les magazines et leur apposant des bouts de dentelle jaunis, comme le font certaines traditions à ces jeunes enfants que l’on marie de force. Mais aussi Weronika Gesicka, Edouard Taufenbach ou bien ‘A couple of them’ d’Elsa Parra et Johanna Benaïnous – déjà croisées aux Mains d’Oeuvres en septembre dernier.
Finalement, c’est un brin de voyeurisme, comme une curiosité poussée au vice, qui constitue le troisième acte. Entre Rebecca Topakian espionnant avec une caméra infrarouge des danseurs dans un état d’abandon total, et Thodoris Papadakis, carte blanche du parrain de cette édition – l’artiste grec Hercules Papaoannou – qui nous offre d’épier sans scrupule les moments de vie intimes d’une maison ouverte sur l’espace public.
Avec filtre ou sans filtre ?
Par cette exposition kaléidoscopique, formée elle-même de micro-rétrospectives dressant de façon concise et plutôt exhaustive le portrait de chaque artiste, on circule et déambule avec l’impression d’avoir cerné les trois directions dans laquelle s’oriente le futur du genre photographique. Néanmoins, ce trio de valeurs convergent vers un seul et même facteur : la créativité pour moteur, la liberté pour fil conducteur.
Preuve en est l’amusante désinvolture avec laquelle Amaral & Barthes se réapproprient les plus grandes œuvres d’art (la pipe de Magritte, les compressions de César, la Vénus de Botticelli, etc.) en y intégrant l’œuf comme personnage central. L’aspect possiblement dérangeant des animaux en train d’être empaillés d'Olivia Rogalska ou les cendres du grand-père d'Alan Knox dispersées sur des photogrammes, images où la mort et le big-bang à l’origine de la vie se conjuguent en une voie lactée, s’inscrivent aussi dans une expérience artistique libérée de toute contrainte, sans limite morale ou éthique. Sans oublier une liberté des moyens techniques, qui permet à un quintette de jeunes artistes de faire des photos de qualité avec un simple smartphone et une multitude de filtres. Tout comme à Camille Scherrer d’intégrer sa ménagerie ‘Guinguette’ au cœur de la Halle, grâce à la réalité augmentée. Des dessins de coquillage, de licorne ou de perroquet sur une balançoire avec lesquels le spectateur peut se prendre en photo, histoire de s’impliquer pleinement dans l’œuvre. Un passage du passif à l’actif qu’on adore !
Et puisque quand on aime on ne compte pas, n’hésitez pas à revenir une deux voire trois fois : si vous revenez alors que vous avez déjà visité l’expo, l’entrée ne vous coûtera qu’1 € (sur présentation du billet) ! Et n’hésitez pas à venir avec vos bambins : grâce au Little Circulation(s) et à un livret de jeu, le festival se met à hauteur d’enfants.
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