Cy Twombly peint des fleurs. De grosses fleurs déstructurées, jetées sur une toile blanche, bavant leurs couleurs de feu. Un grand bouquet de sang et de soleil. Le regard y plonge, détaillant les rouges, les jaunes, la myriade de pétales froissés qui vivent en son cœur. Dans certaines toiles (dont ‘Blooming’, 2001-2008), l’intention est véritablement florale. Ailleurs, ces boules colorées représentent le temps, l’amour, le meurtre, et – selon l’artiste – une relecture contemporaine de certaines histoires antiques. Les plus cultivés les reconnaîtront peut-être. Les autres, dont nous sommes, peuvent se laisser emporter par cette époustouflante intensité chromatique.
Rome, ville violette
Américain de naissance, Cy Twombly (1928-2011) a longtemps vécu sur les rives de la Méditerranée, s’établissant à Rome dès 1960. La rétrospective présentée par le Centre Pompidou semble distinguer un « avant » et un « après » cette date. « Avant », les œuvres du peintre sont à dominantes blanches et couvertes de graffitis noirs éparpillés dans le cadre. Pas facile de s’y retrouver : on peut avoir l’impression de se balader dans les brouillons d’un collégien distrait. « Après » apparaissent les couleurs flamboyantes, comme si Twombly, à l’instar de Matisse et Derain au début du XXe siècle, redécouvrait sa palette sous la lumière du Sud.
Délicat Achille, furieuse nature
C’est aussi le début des relectures antiques et des grands cycles picturaux (dont le violent ‘Nine discourses on Commodus’ et le funèbre ‘Coronation of Sesostris’). Si ces titres semblent hermétiques face à des œuvres parfaitement abstraites, on peut s’en détacher pour laisser l’œil trouver son propre chemin. Ainsi, la peinture appelée ‘Achille pleurant la mort de Patrocle’ (1962) montre une tache rouge vif doublée d’une autre plus claire qui semble vouée à disparaître. Entre les deux, une ligne ténue. La fleur vive serait-elle Achille, la fleur pâle serait-elle Patrocle ? Le carmin indiquerait-il le sang et la douleur ? L’abstraction offre peu d’indices, mais invite chacun à contempler, à rechercher du sens. Et, au passage, à admirer la composition délicate du tableau.
Plus loin, foin de cette finesse : dans la série ‘Bassano’, trois œuvres en croix dépeignent une nature furieuse. Des verts profonds, des coulées émeraude, des nuages de gris livrent une énergie hypnotisante. De façon intéressante, ces œuvres sont placées dans une salle à vue ouverte sur Paris, offrant un contraste saisissant entre la ville structurée et ce déluge de couleurs enragées.
Nerveux Twombly
On dit de lui qu’il peignait parfois dans le noir et qu’il utilisait toutes les techniques lui permettant un geste rapide. Voilà qui unifie cette rétrospective : la sensation de la nervosité du peintre en pleine expérimentation, visible dans la raideur des coups de crayon et la profusion des taches de couleurs. Cy Twombly peignait avec le corps, incessamment. Sur la toile, cette énergie mène des images à la fois galvanisantes et étrangement apaisantes.
Cette exposition fait partie de notre sélection des meilleures expositions à Paris