En près de soixante années de carrière, David Goldblatt est devenu une figure insigne de la photographie documentaire. Pourtant, c’est bien une subjectivité d’artiste qui frappe le spectateur devant chacune des huit séries présentées au Centre Pompidou. Car pour livrer l’Afrique du Sud telle qu’elle est, Goldblatt n’a jamais hésité à réinventer son style selon les situations, convaincu que l’on peut être plus près du vrai en se détachant de ce qu’on voit.
Quand il descend au plus profond des mines par exemple, le photographe se laisse aller au flou et à une sursaturation qui disent l’irréelle dureté des conditions de travail. De même, pour témoigner des conditions de transport des travailleurs noirs vers les villes dont ils sont exclus, il choisit une focale resserrée et un fort vignettage, accentuant la promiscuité à l’intérieur de ces bus de nuit, dans lesquels les corps recroquevillés par la fatigue s’entassent les uns sur les autres.
Mais le bouleversement formel le plus saisissant est bien celui qui fait passer ses photos des contrastes irréconciliables du noir et blanc (du temps de l’apartheid), à la couleur (une fois celui-ci aboli). Goldblatt n’en reste pas moins lucide sur les vestiges de cette politique dans l’Afrique du Sud contemporaine. On peut d’ailleurs voir, entendre et lire le photographe s’exprimer à ce sujet tout au long de l’exposition. Une installation qui semble tomber sous le sens tant elle nous apprend, et qui demeure assez rare pour être soulignée.