Critique

De Zurbarán à Rothko

4 sur 5 étoiles
Rassemblant les chefs-d’œuvre des plus grands maîtres, la collection d'Alicia Koplowitz est l'une des plus importantes d’Europe. Et la plus inoubliable.
  • Art, Peinture
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Time Out dit

La collection d'Alicia Koplowitz – femme d’affaires, présidente du Grupo Omega Capital – aurait bien pu ne pas être exposée dans l'ordre chronologique, cela n’aurait rien enlevé à son harmonie. Marquées par la douceur et le raffinement du geste, les peintures et les sculptures montrées au public pour la première fois au musée Jacquemart-André semblent toutes avoir été choisies avec la même sensibilité artistique.

Des siècles de delicatessen

Les nuances de couleurs pastel, l'atmosphère feutrée et le ton de la suggestion se retrouvent d'œuvre en œuvre. On déconnecte très vite du monde extérieur pour entrer dans ces mondes tamisés, où le flottement du sens est toujours synonyme de volupté. Une langueur joyeuse qui accompagne le visiteur de l'Espagne du « siglo de oro » à l'Italie des peintres Rotari et Tiepolo, puis au cœur de l'art moderne européen d'Egon Schiele ou de Gauguin, et enfin jusqu'au mouvement épuré et sensuel de l'abstractionnisme.

Une vraie complicité avec le visiteur

Le premier tableau de l'exposition, ‘La Vierge à l'enfant avec Saint Jean-Baptiste’ de Zurbaran, captive et émeut. Le léger halo de Marie semble être le propre de son visage sélène et l'éloigne étrangement du bambin qu'elle tient dans ses bras et qui fixe le spectateur avec malice. Le toucher velouté du pinceau contraste avec la précision incroyablement délicate du portrait de Doña Aña de Velsaco y Giron et des paysages de Venise et Madrid que l'on peut voir ensuite. Mais le jeu de regard se poursuit toujours avec le spectateur quand celui-ci fait face aux « têtes de caractère » mutines de Pietro Antonio Rotari comme dans un entre-soi intrigant chez Lorenzo Tiepolo. Ou encore aux côtés de la femme fatale préoccupée mais enchanteresse de Kees Van Dongen.

Des œuvres intrigantes 

Il faut dire que le caractère énigmatique des personnages participe au charme de l'exposition : chaque pièce semble porter en elle des double-sens et des intentions subtiles. ‘La Femme à la robe bleue’ d'Egon Schiele tourne légèrement le dos au visiteur, comme les femmes peintes par Gauguin qui détonnent aux côtés d'un ciel et d'une eau qui pourraient presque être les mêmes. Les couleurs enveloppantes et gaies nous étonnent à nouveau face à l'utilisation des ocres par Picasso, « ne [peignant] pas ce qu'il voit » mais « ce qu'[il] pense ».  Notre curiosité piquée au vif, on se prend alors à imaginer des histoires devant le tableau ‘N°6 (Jaune, blanc, bleu, par-dessus jaune sur gris)’ de Rothko et à jouer l'explorateur de terres inconnues avec les ‘Parallèles’ d'Antoni Tàpies.

Une exposition où l'on s'oublie 

Les dernières œuvres de l'exposition, plus grumeleuses, plus végétales aussi, ne sont pas moins équivoques. ‘L'Araignée’ de Louise Bourgeois, comme apprivoisée, semble inoffensive et apparaît comme une figure familiale presque rassurante. C'est que dans la collection d'Alicia Koplowitz, les villes, la nature luxuriante de Goya, les personnages nonchalants, les personnages séducteurs, les couleurs vives à la De Kooning, les formes abstraites, les détails millimétrés… tous invitent le spectateur à se laisser porter. Cette exposition est donc l’une des rares où l'on finit par s'oublier. Et cela fait du bien.

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