Imprononçable, le nom de ce peintre russe du XXe siècle ne vous dit sans doute rien. Et pourtant, l’artiste dont Dubuffet disait « il ne fait pas de l’art brut mais du classique inspiré » gagne mille fois à être connu. Cela tombe bien : la Maison Rouge nous offre une séance de rattrapage en accueillant tout l’été sa première monographie parisienne de grande ampleur.
Un œuvre luxuriante
Tout au long du parcours, à la fois thématique et chronologique, on va de surprise en surprise. Sous nos yeux interloqués, ébahis puis conquis s’expose une palette variée à la créativité folle – au sens littéral du terme puisque l’artiste fut longtemps interné. Des horizons désertiques, presque cthulhuesques, en pastel gras et sanguine ; des illustrations pour enfants perturbés, schématiques et sans fioritures ; de délicats portraits à l’aquarelle vous défiant d’un œil pénétrant ; des gouaches vives, ‘Frau Inland’ rappelant les îles sensuelles de Gauguin, etc. L’œuvre d’Eugen Gabritchevsky est plus que foisonnante : elle est luxuriante.
Dans cette forêt de peintures et de dessins illuminés mais éblouissants, on croise beaucoup de ‘Sans titre’ dans lesquels on voit ce que l’on veut bien voir. Un paysage de science-fiction peuplé de silhouettes spectrales ? Une machine aux rouages inquiétants, prêts à écrabouiller chairs et os, au cœur d’une cité industrielle noircie ? Un microcosme sylvestre s’éveillant sous la pluie ? La main de Dieu sur une ville où les habitants, curieux fantômes aux yeux écarquillés, vont à la mine sans siffler ? Un cosmos ? Un festin cannibale ? La métamorphose d’un sage-chenille ? Eugen Gabritschevsky ne s’interdisait rien, quitte à atteindre la splendeur du déséquilibre. Et il en va de même pour le visiteur dans son interprétation.
Un génie terriblement humain
Toute la technique – ou plutôt les techniques – de l’artiste se dévoile un peu plus à chaque tableau. Ses mondes futuristes immondes et ses monochromes parcourus de spirales de gouache comme d’étranges nuances tourbillonnantes, démontrent son côté visionnaire. Punk, voire steampunk, avant l'heure. Ses petits formats, eux, révèlent la finesse de son trait faussement naïf. Et ses galeries de personnages au crayon papier, mi-insectes mi-hiéroglyphes, ses déferlements de perles et de joyaux de la Russie tsariste, ainsi que ses encadrements de scènes façon rideaux de théâtre – notamment japonais dont les masques difformes apparaissent sur le corps d’un scarabée orangé – témoignent des influences multiples d’Eugen Gabritschevsky.
Intelligent et imaginatif au-delà du réel, l'artiste n’en est pas moins léger lorsqu’on le découvre s’amusant simplement à tracer des symboles suivant les carreaux d’une feuille. Et on se surprend à se prendre d’affection pour ce génie terriblement humain.
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