“Elle fait de la photo, Annie Ernaux ?”, s’interroge un visiteur. Non, mais elle écrit sacrément bien. Si bien que la Maison européenne de la photographie s’inspire de son emblématique Journal du dehors pour inaugurer son cycle 100 % féminin. Associant des textes de l’écrivaine et des tirages issus des collections du musée, l’expo nous plonge dans un voyage visuel et littéraire entre Cergy et Paris, des rames de RER aux supermarchés de quartier.
Sorte de roman-photo sous stéroïdes, le parcours met en évidence le regard d’Ernaux, celle qui voit et décrit ce que les autres ne captent pas, ces moments de vie anodins dans lesquels réside tant de beauté. Celle qui décrit sa propre écriture comme une “photographie du réel” entretient un rapport particulier à l’image, ce qu’on constate dès les premières lignes de son Journal du dehors. Il suffit d’en feuilleter les pages (et de connaître un peu la dame) pour se rendre également compte de l’engagement social de l’écrivaine, parfaitement retranscrit dans le corpus de 150 clichés sélectionné par la commissaire Lou Stoppard. Ici, l’idée n’est pas de coller parfaitement au texte mais d’embrasser la position de la Prix Nobel : celle d’une femme qui ne juge pas, et pour qui le quotidien est la meilleure des matières premières.
De Dolorès Marat (à qui l'on doit le visuel de l’expo) au jeune Mohamed Bourouissa (actuellement au Palais de Tokyo) en passant par l’iconique Finale de l’élection de Miss France, entourée de Jean-Pierre Foucault et Mme de Fontenay, 2001 de William Klein, les photos n'illustrent pas les extraits du roman mais leur donnent une saveur particulière, nous entraînant dans un va-et-vient permanent sans que jamais le verbe ne prédomine sur l’image, et vice versa. Du génie.