Dépoussiérer l'Académie et la rendre tellement vivante qu'elle en deviendrait inquiétante. Voici le pari lancé par Mark Dion, artiste américain invité par les Beaux-Arts de Paris, pour valoriser ce patrimoine incroyable trop souvent relégué au rang des vieilles choses ronflantes. Entreprenant un voyage initiatique dans la riche collection des Beaux-Arts, on croise des femmes aux courbes généreuses, des gravures à la finesse cruelle, aux détails scrutateurs et acerbes ou encore des panoplies d'ossements, d'études et d'écorchés. Et parfois, au milieu de ces œuvres antiques, réalisées des heures durant dans l'atelier d'un maître, on rencontre certaines des pièces des actuels élèves de l'école des Beaux-Arts, ou de Mark Dion lui-même.
Ainsi se côtoient et se rencontrent apprentis et professeurs dans un dialogue envoûtant où il n'est plus question de hiérarchie ni de supériorité des savoirs mais de flux, de mouvements, d'échanges flottants et intangibles. Il se passe quelque chose dans ce parcours pensé comme un voyage à travers différents mondes (salle TERRE, salle EAU, salle AIR, salle FEU) dans lesquels on se laisse bercer, ou berner, par le décor à la fois kitsch et poétique. Mais aussi par l'environnement étrange où des nymphes portent des sabots et les chevaux sont ailés. Tous ces mondes mènent à la dernière salle : Oracles, Systèmes, Lectures des pierres et le Dark Museum, paroxysme du surnaturel.
Car c'est bien la Nature qui est au cœur de ce projet. C'est elle que l'on observe sous toutes ses coutures à l'Académie, elle que l'on dissèque pour mieux la connaître, mieux la représenter. Et c'est aussi elle qu'interroge Mark Dion en mêlant oeuvres passées et contemporaines dans un dispositif presque divinatoire qui explore les quatre éléments, empreint de mystères autant scientifiques que mystiques. Labyrinthe magique d'où le temps s'efface (ou se prolonge), l'exposition permet à la fois de découvrir des pièces rarement montrées au public et de les faire entrer en résonance avec notre perception. Intrigante et vacillante, elle ouvre un espace qui a tous les attraits du réel mais qui est pourtant en léger décalage avec lui. Un espace où l'observation peut tromper, où l'image peut duper et où les règles peuvent varier sans qu'elles soient établies. Ainsi le formol ne conserve pas des morts, mais de fausses matières organiques sorties d'un futur inconnu, et une anguille, même tranchée, reste vivante, charnue et palpitante. Détournés, les codes physiques anéantissent tous nos repères, nous laissant chancelants mais admiratifs.
Dense et énigmatique, l'exposition nous entraîne dans les méandres d'une collection majestueuse, invitant à la perte du réel pour mieux ressentir objets et œuvres d'art. Perdez-vous dans sa cabane, ses pierres prophétiques et autres natures mortes du XVIe siècle, univers extra-naturel sensitif et immersif dans lequel nous convoque Mark Dion. Une mise en scène qui nous enveloppe, malgré nous, dans un monde légèrement à côté de celui dont on vient.