Pour sa rentrée, le musée du Luxembourg propose la superbe exposition ‘Fragonard amoureux’. Un parcours bien pensé qui nous guide des amours divins aux fêtes galantes en passant par les boudoirs (où l’on surprend les filles dans des scènes élégamment suggestives), la campagne (où Eros se fait plus brutal, plus trivial) ou bien encore les moralistes, qui d’un coup de censure submergée par tout ce libertinage, font se développer de grandes scènes dans une Nature luxuriante où les filles ont malgré tout toujours le rose aux joues. C’est la riche ambiguïté du XVIIIe siècle que nous traversons à travers l’œuvre de Fragonard, avec ses contradictions et ses yeux bandés. D’une salle à l’autre on se laisse transporter par la splendeur et le ravissement de l’amour qui se déploie tantôt aux jardins, tantôt au paradis, tantôt dans les chambres à coucher.
Plus qu’amoureux Fragonard se montre sensuel, fripon et voluptueux. Il exalte l’imaginaire en dépeignant l’inconstance régulière dans un souffle licencieux et frivole. Un escarpin qui vole dans le mouvement de la balançoire dévoile un petit pied à la blancheur attirante, une joyeuse partie de colin-maillard découvre un délicat sein nu, la chute de la laitière étourdie fait se lever les jupons bouffants, faisant courir le regard le long de ses cuisses charnues. Chaque tableau transpire le désir et joue malicieusement de son caractère ordinaire et innocent. Subversif et étonnant sous ses dehors classiques et traditionnels, Fragonard joue avec le regard. Là est la beauté de ses œuvres, dans un libertinage des plus raffinés, évitant le vulgaire, le grossier et l’évident, il parvient aux mêmes effets que le grivois – rendre l’échine frissonnante – sans avoir l’air d’y toucher. Les couleurs puissantes (le beau rouge velours des étoles, le profond blanc des cieux, l’intense vert des clairières) ainsi que la précision lumineuse qui éclaire chaque toile participent non seulement à l’érotisme sous-jacent de la scène mais aussi au plaisir du regard qui plonge dans l’image ainsi créée. Polisson, il réveille la chair endormie, telle une courtisane si séduisante et distinguée que l’on oserait penser qu’elle en est une. Captant cette dualité entre représentation sociale et désir brûlant, les toiles présentées reflètent l’ambivalence de leur temps. Les petits détails, les fines allusions à la jouissance, les corps des femmes, tout pousse à l’amour dans un charmant sentiment contradictoire, qui est purement celui du galant libertin.
On ne reste jamais sur le seuil contemplatif, on entre à l’intérieur de chaque tableau, on l’explore et on y vit quelques instants. Fragonard réussit à définir une nouvelle manière de peindre la galanterie amoureuse, s'affirmant comme un maître dans l’art raffiné du sentiment.
En déambulant à travers l’exposition, on ressent l’ambiance feutrée des alcôves, on y parle bas, on y marche doux. On glisse sur la peau de 'L’Aurore triomphant de la Nuit', on ne résiste pas à 'L’Heureux Moment' du baiser, on échoue sur 'L’Ile d’Amour' avant de refermer 'Le Verrou' derrière nous pour mieux se souvenir de toutes les palpitations amoureuses. On chavire dans ses toiles !
Tous les jours de 10h à 19h, nocturne le lundi et le vendredi jusqu'à 21h30.