Des rues. Des femmes voilées. Des téléphones portables. Des sweats à capuche. Du rouge, du noir, du gris. Et au milieu de tout ça, Gilbert et George dans leurs éternels costumes de tweed. L’humeur est sombre. Il pleut sur les quartiers Est de Londres, home sweet home du couple britannique : une averse d’images éclatées et de petits objets en forme de bombes - en réalité des capsules de « gaz hilarant » comme on en trouve des dizaines sur le bitume de l’East End qui, à en croire cette exposition, partage sa vie entre la mosquée, l’église, les restos tandoori et les soirées dopées au protoxyde d’azote.
En près de 50 ans de vie et de création communes, le duo nous a souvent parlé de religion (chrétienne essentiellement), de brutalité médiatique, de nationalisme, de flicage, en s’érigeant de façon outrancière parmi les icônes du monde moderne. Mais en ce moment à la galerie Thaddaeus Ropac, quelque chose de nouveau et de terriblement grinçant vient percer leurs photomontages – l’aboutissement, peut-être, de toutes ces années de réflexion. Du haut de leurs 71 et 72 ans, Gilbert & George sont allés mixer les tensions qui rongent nos villes contemporaines pour interroger la paranoïa, l’islamophobie ou la culture white trash. Le résultat ressemble à un cocktail molotov hautement abrasif. Choc immédiat. Détonation. Message complexe et ambigu.
« Nous avons voulu exprimer le climat d’aujourd’hui. Le maintenant », nous disent-ils, stoïques devant les immenses tirages de leurs ‘Scapegoat Pictures’ (« images de boucs émissaires »). « Notre époque traverse une guerre moderne, une guerre de valeurs. Et nous avons inventé une nouvelle forme pour en parler. » On pourrait se demander où Gilbert & George se situent par rapport à tout ça – eux, les artistes homosexuels athées provocateurs septuagénaires, un poil anars sur les bords, un brin conservateurs aussi. Mais au fond, la question politique n’a pas vraiment sa place ici. Cette nouvelle série, qui emprunte son langage à l’art de propagande, penche plutôt vers l’allégorie, teintée d’une dimension morale : avec ce kaléidoscope effrayant, ils dessinent le paysage urbain ultra-contemporain, marqué par la montée des idéologies et leur cohabitation chancelante. Sur le territoire des scapegoats la méfiance est de mise. Et l’homme est un souffre-douleur pour l’homme.
Décidément, avec l’âge, Gilbert voit rouge, George voit noir. Et vice versa. Sauf que lorsqu’ils nous balancent leurs slogans provocateurs à la figure (« Bannissons la religion », « Chions sur les dogmes ») et racontent une époque à deux doigts de rebasculer dans l’obscurantisme, les Anglais conservent aussi cet optimisme un peu candide qui, depuis leurs débuts, les a toujours poussés à créer des images capables de nous parler et de nous secouer du premier coup d’œil. Comme deux gamins qui voudraient changer les gens et le monde avec des collages. En cherchant, toujours, le rose qui point dans la noirceur.
> Horaires : du mardi au samedi de 10h à 19h.
> Voir aussi :
Notre interview de Gilbert & George
Notre critique des 'London Pictures'