Si l’on vous dit Magnum, vous pensez soit à Tom Selleck (et on pourra facilement deviner votre âge), soit à une agence de photographie spécialisée dans le noir et blanc. Eh bien, Harry Gruyaert n’a ni moustache ni pellicule bichromatique, et pourtant, dès 1981, c’est en tant qu'ovni qu’il rejoint le célèbre groupe de reporters. Célébrant l’esthétique de la banalité, l’expo curatée par l’excellente Diane Dufour, directrice du BAL et ancienne directrice Europe de Magnum (tiens tiens), rassemble 80 clichés allant de 1974 à 1996 provenant de collections privées et de la célèbre galerie anversoise FIFTY ONE.
Fada du cinéma d'Antonioni et profondément marqué par ses rencontres avec les pop artistes Roy Lichtenstein et Robert Rauschenberg, le Belge ne jure très vite que par la couleur et le beau commun, tranchant cruellement avec ses collègues qui jugent la couleur vulgaire, tout juste bonne à illustrer une mauvaise pub. On est plus de dix ans avant Martin Parr, et déjà, chez Gruyaert, les couleurs saturées rendent hommage aux scènes les plus quotidiennes, qu’elles soient tirées de sa Belgique natale, du Maroc qu’il adore ou de la fascinante ex-URSS. Pour l’artiste, “chaque lieu a une palette” et les couleurs primaires d’Anvers contrastent avec les tonalités pastel de Moscou et la chaleur de Ouarzazate.
Une célébration par la couleur de l’identité de chaque pays soulignée ici par une scénographie ultra-colorée, qui agit presque comme une palette Pantone. Difficile de ne pas faire le lien entre le travail de Gruyaert et celui d’Edward Hopper, qui ont en commun un sentiment de solitude accentué par la couleur et le traitement de la lumière. On se demande quelle couleur aurait Paris aujourd’hui dans l'œil d’Harry Gruyaert.