« A l'âge de 73 ans, j'ai compris à peu près la structure de la nature vraie (…). Quand j'aurai 110 ans, chez moi, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant. » Voilà comment Hokusai (1760-1849), le plus célèbre artiste de l'Histoire du Japon, conçoit son art : comme une perpétuelle escalade vers la perfection, une avancée lente mais têtue vers une expression qui tend, toujours, à s'améliorer. Pendant des décennies, il dessine et peint sans relâche. Des centaines, des milliers de pièces, dont la profusion est bien rendue par le parcours gargantuesque du Grand Palais. Régulièrement, il change de pseudonyme, pour marquer chaque étape de sa progression. Les techniques changent, les supports varient, les sujets se suivent sans se ressembler, même si, chez Hokusai, la nature luxuriante, source d'émerveillement et de beauté qui rappelle à l'homme son humble condition, reste le personnage récurrent d'une œuvre extraordinaire.
A admirer les fameuses 'Trente-six vues du Mont Fuji', formidable portrait des différentes facettes d'un Japon à la fois maritime et paysan, citadin et sauvage, moderne et hanté, baigné dans des couleurs chaudes ou des bleus glacés, on peut deviner le choc qui suit l'apparition en Europe de ces estampes, au milieu du XIXe siècle. Choc qui répercute son onde, on le sait, jusqu'à Van Gogh, Monet, Degas et bien d'autres. La force du trait, la pureté du mouvement, la souplesse des lignes, l'intelligence des effets de perspective ou l'utilisation bouleversante du bleu laissent béat. Et partout, de la stylisation des formes jusqu'à ces dessins qu'on dirait tirés du manga 'Akira', surgit cette stupéfiante modernité.
Mais, il y a un « mais ». Un gros même : par pudibonderie sans doute, par précaution peut-être, le Grand Palais, voulant plaire à tout le monde, a choisi d'omettre tout le pan érotique de l'œuvre du « vieux fou de peinture ». Avec une certaine forme de malhonnêteté puisqu'aucun texte ne souligne jamais ce manque dans l'exposition, les commissaires ont ôté de cette soi-disant rétrospective des chefs-d'œuvre comme 'Le Rêve de la femme du pêcheur'*. Ce faisant, ils abaissent au niveau de basses images porno des estampes magnifiques qui caractérisent l'affrontement entre l'homme et la nature, cher au Japonais. Ce Hokusai-ci, déshabillé de sa subversion, a l'air bien sage. Beaucoup trop. Alors quoi, la prochaine exposition de Courbet se fera sans 'L'Origine du monde' et on enlèvera des futures rétrospectives sur Schiele les représentations de prostituées de 13 ans pour ne pas troubler les visiteurs ? Ca promet.
* Devant notre interrogation, la co-commissaire a expliqué que l'exposition souhaitait se concentrer sur le reste de l'œuvre d'Hokusai, et que les pièces érotiques auraient monopolisé l'attention du visiteur (sic).
> Horaires : tous les jours sauf le mardi de 10h à 22h (fermeture à 20h le dimanche et le lundi).
> Ouverture à partir de 9h le samedi et pendant les vacances scolaires.