Peu de photographes de mode réussissent à s’extirper du papier glacé pour s’exposer en grand format. Et surtout pas au Grand Palais (éphémère, mais quand même). Après plus de trente ans de carrière au top de la mode, Juergen Teller a bien mérité son expo en grande pompe. Habitué à mener ses shootings à la baguette, l’Allemand se saisit d’une carte blanche pour transformer les lieux à son image : exubérant, grandiose et complètement foutraque.
Le spectateur est catapulté dans l’univers du photographe sans le moindre filet, à part un livret pas franchement utile à télécharger. Dans une scénographie boisée et dépouillée, plus de 700 photos et 300 documents d’archives (!) évoquent l’intimité du Bavarois, son goût pour le trash et son humour, souvent noir. Fait rare dans le monde policé des expositions, le Grand Palais mise sur le chaos : un accrochage décousu dénué de cartels, où des autoportraits déjantés côtoient des photos de stars, des campagnes de mode porno-chic et des souvenirs de vacances – sans qu’on comprenne bien pourquoi.
Décontenançant, surtout si l’on n’a pas bossé son sujet avant de venir, ce parti pris est pourtant extrêmement rafraîchissant : on est très loin de la visite scolaire. Pour survivre à cette vertigineuse expérience, on se raccroche à des visages connus, Iggy Pop, Kate Moss ou Björk. On s’attache aux corps imparfaits joyeusement célébrés, à l’image de la créatrice Vivienne Westwood devenue odalisque. Et enfin, notre œil, désormais accoutumé, s’attarde sur les douces tonalités si chères à Teller qui, en plus d’être un peu zinzin, se révèle un coloriste de génie.