Un sanctuaire modernisé
Quelles sont les icônes que sacralise en ce moment la Fondation Louis Vuitton et que tous les fidèles de l’art moderne s’empressent d’aller voir ? Des peintures notamment, intemporelles mais loin d’être immémoriales ; et dont les noms des créateurs crucifiés à jamais dans les musées du monde entier seraient laborieux à citer de façon exhaustive. Pour aussi célèbres que soient ces œuvres – ‘La Dame dans le jardin’ de Monet par exemple –, rares sont les occasions de les approcher d’aussi près, et de surcroît comme tel : un chœur utopique (pas moins de 130 œuvres) en un seul et même lieu. Un éden provisoire dans le jardin d’acclimatation où l’on s’essouffle, aussi. Entre foule de tableaux et foule de visiteurs, on ne sait où donner de la tête.
Quand adoration et iconoclasme se nouent
Il faut dire que Sergueï Chtchoukine, l’homme d’affaire russe dont la collection miraculeuse nous est donnée à voir, ne semblait avoir d’autre exigence que de posséder des travaux avant-gardistes, à l’image de ses qualités de visionnaire ; et ce, depuis la période impressionniste au constructivisme, en passant par les fauves et les cubistes. De fait, il y en a pour tous les goûts.
« Les tableaux sont étroitement rapprochés l’un à l’autre, et, au début, on ne remarque même pas où l’un finit et où commence l’autre : il semble que devant vous il y a une seule grande fresque, une iconostase », écrit le critique Y. Tugendhold. Cela, la Fondation le montre bien, se remémorant des espaces du palais Troubetskoï. Toutefois, elle épure le cabinet de curiosités révolutionnaire en proposant au spectateur d’interroger son regard sur les œuvres.
Une leçon de peinture
Plusieurs salles sont donc conçues comme des confrontations esthétiques et stylistiques permettant au spectateur d’emprunter la réflexion d’Anne Baldassari, commissaire générale, pour créer à son tour des ponts entre les œuvres. Parmi les visiteurs amassés, l’amateur d’art - sorte de Syméon Le Stylite 2.0 dans son lieu de culte monogrammé - ressemble donc un peu à la pensive ‘Femme sur un tabouret’ de Vladimir Tatline : il est perplexe. Il faut donc prendre le temps, revenir à petits pas au siècle dernier pour comprendre en quoi cette exposition s’auto-proclame « leçon de peinture ».
Plutôt deux fois qu’une
C’est alors que l’on perçoit les nuances infinies des flous de Carrère, que notre attention se porte sur les perspectives fruitées de Gauguin et que l’on découvre ‘Le Château enchanté’ de James Patterson. Tantôt narrative, tantôt abstraite, la collection de Chtchoukine est contaminée par ce que Cioran appelait le « virus de la liberté », caractéristique du peuple russe. L’essayiste ne parlait-il pas d’ailleurs de ce « jour où nous ne lirons plus que des télégrammes et des prières » ?
Les œuvres autrefois rassemblées par le collectionneur transforment la Fondation Louis Vuitton en un temple provisoire de l’art moderne – voilà qui, entre deux SMS et une publication Instagram, pourrait nous aider à vivre « à l’intérieur du même instant, dans le monde et hors du monde »…
Cette exposition fait partie de notre sélection des meilleures expositions à Paris