A l'affiche, pas d'artistes, pas même de journalistes – mais des scientifiques ou des militaires. Il faut dire que les photos réunies pour cette exposition n'étaient absolument pas destinées à être exposées. Si elles ont été prises, c'était dans un but précis : pour servir de pièces à conviction, de preuves d'experts scientifiques. Ici, les clichés viennent appuyer les arguments juridiques qui valideront (ou non) les accusations pesant sur les coupables. Au fil d'un parcours construit autour de onze cas, 'Images à charge' pénètre dans les coulisses de la police et de la criminologie, du XIXe siècle à nos jours. Des premières photos des « experts » de la police aux attaques de drones à la frontière pakistanaise, le BAL ausculte les connexions troubles entre vérité et image. Si l'on a tout de suite attribué à la photographie le pouvoir d'enregistrer et de certifier le réel, on sait aussi qu'une image peut déformer ou être interprétée de différentes manières – un problème, quand il s'agit de faire inculper un assassin ou de prouver qu'un crâne trouvé au Brésil est bien celui du boucher nazi Mengele.
Comment vont être reçues les images-preuves ? Comment être certain que le message que l'on veut y faire passer ne sera pas altéré ? Dès le début du XXe siècle, Alphonse Bertillon a tenté de trouver une sorte d'objectivité dans ses clichés de cadavres, imaginant une approche qui systématiserait le processus – une photo prise à deux mètres du sol au-dessus du corps, englobant la victime et la scène de crime pour un résultat sobre mais très frappant, idéal pour impressionner un tribunal. Car qui dit vérité à prouver, dit public à convaincre : chacun des cas que l'on découvre est destiné à remporter l'opinion de ceux auxquels la photo se destine. La préoccupation de Robert Jackson, procureur du procès de Nuremberg en 1945, résume bien la difficulté que peut présenter ce travail, lui qui, face à la démesure de la Shoah, redoutait que les millions de morts deviennent une donnée abstraite, voire surréaliste, aux yeux du public : « Nous devons établir des faits incroyables au moyen de preuves crédibles », expliquait-il.
L'exposition donne aussi à voir des raisonnements absurdes. Comme par exemple ces exécuteurs du NKVD qui photographiaient une par une les centaines de milliers de victimes de la grande terreur stalinienne, pour justifier auprès du Petit père des peuples que les quotas de morts exigés avaient bien été atteints. On touche là à un cas emblématique de l'exposition, révélant à quel point l'image semble souvent s'émanciper des cadres de ceux qui l'ont produite. Car à vouloir trop bien organiser son terrible massacre et en effacer toutes les traces, l'appareil stalinien a entassé ces photos qui sont finalement devenues, en resurgissant quelques dizaines d'années plus tard, la preuve la plus évidente de la folie meurtrière du régime. Comme si, ironiquement, malgré toutes les précautions prises, l'image pouvait toujours se retourner contre celui qui l'avait créée, et clamer une vérité allant à l’encontre de celle qu'elle était censée soutenir. On repense alors aux mots d'Alphonse Bertillon qui, il y a plus de cent ans, semblait avoir déjà tout compris : « On ne peut voir que ce que l'on observe, et l'on n’observe que ce qui se trouve déjà dans notre esprit. »
Du mercredi au vendredi de midi à 20h, samedi de 11h à 20h, dimanche de 11h à 19h, nocturne le jeudi jusqu'à 22h.