Mis à l’honneur par la Fondation Louis Vuitton et la Philharmonie, Jean-Michel Basquiat est sans conteste la star de la saison parisienne. Si sa carrière fut courte (elle n’aura duré que huit ans), son œuvre est aujourd’hui l’une des plus célèbres du monde. Et Paris a peut-être quelque chose à voir là-dedans…
C’est l’une des toiles phares de l’exposition à quatre mains de la Fondation Vuitton. Eiffel Tower, peinte par Jean-Michel Basquiat (1960-1988) et Andy Warhol (1928-1987), est une ode à Paris et à la culture française, entre drapeau bleu-blanc-rouge déstructuré, Dame de fer inclinée et grenouilles amusées, référence à la gastronomie locale. Réalisée en 1985 lors d’un séjour à Paris, elle témoigne de la collaboration effervescente entre le jeune prodige et le pop artiste, mais aussi d’un amour non dissimulé pour notre chère capitale.
A cette époque, Paname apparaît comme une alternative à l’Amérique conservatrice de Reagan, que tout l’underground artistique a fui ou dénoncé. Superstar du New York des années 1980, Jean-Michel Basquiat ne fait pas exception et a parfois préféré le Paris haussmannien à la démesure de Big Apple, fréquentant dans la capitale galeries d’art, bistrots et boîtes de nuit. On compte quatre voyages importants de Basquiat en France, entre 1983 et 1988, durant lesquels il jouit d’un anonymat ambigu. Implanté sur le marché américain, celui qui s’est longtemps fait appeler SAMO (“Same old shit”, son nom de graffeur) n’est pas encore connu sur le Vieux Continent. Le cool transpirant de ses pores (Basquiat, quoi), c’est dans les lieux les plus branchés de la capitale que l’on retrouve l’artiste, qui traîne avec les stylistes Jean-Charles de Castelbajac et Agnès b.
“La rencontre a eu lieu à Paris lors d’un vernissage à la galerie Yvon Lambert”, se souvient la créatrice dans le JDD. “Je l’ai vu, magnifique dans son costume marron, sa chemise blanche – Agnès b. ! – et sa cravate noire. Trois mèches dread encadraient son visage. Il était sublime. De toute sa hauteur, il m’a toisée : ‘So, it’s you?’” Mécène de l’art urbain, Agnès b. possède aujourd’hui six toiles de Basquiat et a installé sa fondation – la Fab – place Jean-Michel-Basquiat, dans le 13e, arrondissement bien connu des graffeurs pour avoir (notamment) accueilli la Tour 13. Pour Jérôme Coumet, maire du 13e, nommer une place en l’honneur du peintre était une évidence : “Le 13e possède déjà un certain nombre de rues aux noms d'intellectuels et d'artistes. Basquiat avait sa place auprès d'eux”, se félicitait l’édile au micro de nos confrères du Figaro en 2014.
Des séjours bourgeois-bohèmes
Basquiat a secoué le monde de l’art, mais aussi Paris. Son train de vie, à la fois fastueux et bohème, colle parfaitement avec la capitale : il descend à l’hôtel Crillon mais pionce aussi dans une chambre cheap du Marais, dîne à la Coupole ou à la pizzeria du coin, fait la fête chez Castelbajac et aux Bains Douches, comme le raconte ce très beau papier du Monde. Et toujours avec la même nonchalance, et le même style. “C’était quelqu’un de fascinant, les gens étaient attirés par lui”, se souvient son ami de toujours Al Diaz. C’est sans doute pour cette raison qu’en 1987, la timide représentante de l’anti-fashion, Rei Kawakubo, le fait défiler pour sa griffe Comme des Garçons lors de la Fashion Week parisienne. La légende raconte qu’elle comptait sur Andy Warhol pour porter ses créations mais que ce dernier, pas vraiment emballé, lui aurait soufflé le nom de Basquiat.
A la fin des années 1980, alors que Pierre Nahon (galerie Beaubourg) et Daniel Templon se l’arrachent, c’est finalement Yvon Lambert qui obtient les faveurs du jeune prince de l’art et lui consacre une exposition en 1988. L’expo est un franc succès, et le Tout-Paname s’y bouscule. A cette occasion, il rencontre Ouattara Watts, un artiste fraîchement diplômé des Beaux-Arts de Paris, arrivé de sa Côte d’Ivoire natale en 1977 pour étudier. “Je rencontre Jean-Michel Basquiat par hasard à son vernissage chez Yvon Lambert. C’était drôle parce que c’était la première fois que je voyais dans une galerie parisienne un brassage de Blancs, de Noirs et d’Asiatiques”, racontait l’artiste en 2013 au professeur Yacouba Konaté (alors président honoraire de l’Association internationale des critiques d’art). “Jean-Michel vient vers nous. Je ne le connaissais pas. […] Il me demande ce que je fais. Je lui dis que je suis artiste. Il me dit qu’il aimerait voir ce que je fais. Et tout de suite. Je n’en revenais pas, parce que le vernissage de son expo était en cours.” Il lui parle d’Abidjan, de l’Afrique, qui est un véritable objet de fascination pour l’Haïtien d’origine. Son premier voyage en Côte d’Ivoire (qui sera le seul en Afrique) est d’ailleurs organisé par le Centre culturel français en 1986.
Ensemble, ils projettent un voyage à Korhogo en Côte d’Ivoire, et même une installation en Afrique dans le but d’y ouvrir une distillerie de tequila ! Mais le destin de cet artiste qui brûlait la vie par les deux bouts en a décidé autrement, et seulement sept mois après cette rencontre, il est retrouvé mort d’une overdose dans son studio de Great Jones Street. Ses œuvres, elles, continuent de vivre sur les cimaises des plus grands musées de Paris.