Des grenouilles dans le Marais. Quelle évidence. Le génie de Juergen Teller frappe depuis la rue Pastourelle, à travers les vitres de la galerie Suzanne Tarasieve. Le premier batracien de l’expo Leg, snails and peaches laisse entrevoir sa tête hors de deux lèvres sensuellement entrouvertes. En face, la photo d'un homme aux yeux clos, sous assistance respiratoire. D’un côté la menace d’étouffement, de l’autre l'asphyxie, et puis la vie, couleurs vives et œil luisant, prête à bondir hors d’une bouche dévoreuse.
Il sera bien question de mort, et, par sursaut, de vie. La décrépitude qu’a choisi de laisser flotter Teller sur ses œuvres, c’est celle d’une saison, l’automne, dont il apprécie le bestiaire, les couleurs mornes et les odeurs de sous-bois. Et puis, tout à coup, une pulsion abrupte nous ramène à la vie.
C’est le baiser à pleine bouche de Béatrice Dalle contre la moiteur des écorces d’un bois mort. C’est une laie nourrissant ses petits sur un parterre de végétations à l’agonie. C’est enfin Teller lui-même, nu, retenant une poignée de ballons vigoureux, prêts à l’envol, devant un mur de feuilles mortes, condamnées à pourrir sur le sol. Une ambivalence qui parvient à nourrir d’un trait commun la diversité des séries présentées, qui contrastent à merveille avec les murs blancs laqués de la galerie.
La série la plus récente, à l’étage, donne son nom à l’exposition. Teller y orchestre ce qui ressemble à des natures mortes, en forme de memento mori. La symbolique subtile du déclin revient aux escargots géants d’Afrique, véritables sources de destruction dans les régions qu’ils parasitent, mais aussi au brunissement des pêches trop mûres. Et puis une sensation à fleur de peau nous ranime, celle de la bave visqueuse du mollusque sur la jambe du photographe, ou du suc collant du fruit au bout des doigts. Le tout dans un équilibre toujours répété des compositions et des couleurs. “Et le ciel regardait la carcasse superbe, comme une fleur s'épanouir”, écrivait Baudelaire.