En un coup d'œil, la rétine absorbe les couleurs éclatantes. Les mises en scène millimétrées. L'atmosphère feutrée, parfum 60's, alliée à une obsession un peu suspecte pour l'autoportrait. Et surtout, cette esthétique léchée, ultra contagieuse, que la jeune photographe canadienne (née en 1981) a contractée dans les couloirs des magazines de mode, où elle trace son chemin dans le sillage de Guy Bourdin ou Miles Aldridge. A la fois auteur, modèle et sujet, Kourtney Roy séduit immédiatelement avec son univers noir fardé de couleurs et composé de saynètes grotesques, très cinématographiques, comme congelées dans la rigidité de l'instantané. C'en est presque trop facile, les ingrédients sentent le réchauffé. Et pourtant, un fin dosage d'autodérision et de trouble vient faire la différence : derrière ses airs postiches et narcissiques, ce monde verni à l'oestrogène dégage une froideur déroutante qui véhicule, de manière inespérée, un certain charme électrique.
Nous l'avions remarquée en 2012 au festival Circulation(s). A l'époque, elle avait déjà fait une apparition aux Rencontres d'Arles et s'apprêtait à poser un pied sur le marché de la photo archi-commercialisable. Aujourd'hui, elle atterrit brièvement au BAL avec la carte blanche que le PMU accorde chaque année à un jeune espoir de la photographie. Comme Malik Nejmi, Mohamed Bourouissa et Olivier Cablat avant elle, la Canadienne a donc été invitée à travailler sur le sujet des courses de chevaux et des paris. Sauf que quand Kourtney Roy se retrouve seule dans un hippodrome, c'est un peu la secrétaire de Don Draper qui erre le soir dans les bureaux déserts des Mad Men, tout juste encombrée par ses collants, ses escarpins et sa prédisposition pour l'hystérie - décidée à fouiller l'envers du décor, pour mieux s'oublier.
Dans la vingtaine de clichés qui envahissent les murs du BAL, la silhouette fuyante de la photographe traîne près des guichets, s'affale sur les gros fauteuils molletonnés, fait l'autruche dans les jardins. Inerte, absente, elle joue, se déguise, se cache le visage. Elle s'obstine à créer une mythologie personnelle, sans vraiment sembler croire en quoi que ce soit. A ses côtés, quelques prises de vue s'arrêtent sur des escaliers vides, des caisses sans caissier, des plantes. On pense aux limbes oniriques de David Lynch et à ses personnages féminins comme dépossédés de leurs corps, trop plastiques, trop lisses. Aux crises de nerfs de Pedro Almodovar. A la solitude glaçante d'Erwin Olaf, aux autofictions stéréotypées de Cindy Sherman. S'ils n'inventent pas le fil à couper le beurre, ces autoportraits dénaturés parviennent encore une fois à transmettre la sensation étrange qui caractérise les oeuvres de Kourtney Roy. Une sensation que l'on pourrait comparer à l'impression diffuse et angoissante que provoquent les mannequins de vitrine que l'on prend, pendant une fraction de seconde, pour de vrais gens. Figurants d'un réel enchanté, certes, mais menaçant.
> Horaires : le mercredi et le vendredi de 12h à 20h, le jeudi de 12h à à 22h, le samedi de 11h à 20h et le dimanche de 11h à 19h. (Fermé le 1er mai).